L’introduction se voulait claire: ce type de réunion était programmé depuis longtemps, n’étaient-ce les chamboulements survenus ces derniers temps. Il ne s’agirait donc pas d’une rencontre de crise. «Des critiques, il fallait s’y attendre après une longue période de candidatures uniques pour la présidence de la CGEM. Nos méthodes n’ont pas été comprises pour certains et non acceptées par d’autres. C’est en étant conscient qu’il fallait un temps pour que ce changement soit digéré que nous avons préféré établir un écart temporel entre la date d’élection et le dernier conseil d’administration», a d'emblée déclaré Mezouar. A l’évidence, cette période, voulue comme une accalmie, n’a pas été suffisante pour permettre de tourner la page. «Au contraire, les mauvais perdants ont agi avec d’autant plus de détermination pour miner nos efforts», s'est-il plaint.
Pour le président de la CGEM, à chacun son style et ses méthodes. «Les miens, ce sont l’ouverture et la volonté de renouvellement. Cela fait partie du job. Mon objectif est d’aboutir à une CGEM qui fonctionne et qui a de l’impact. Mon voeu est aussi d’arriver à en faire l'institution la plus représentative qui soit et de la préparer à l’avenir et aux nouvelles générations», plaide-t-il.
Mezouar concède tout de même qu'entre les objectifs voulus par le tandem élu, qu'il forme avec Fayçal Mekouar, et «la confusion qui a régné autour des six premiers mois» de leur mandat, «il y a eu un manque de communication de [leur] part. En face, les actions, réactions et les jugements sont allés vite en besogne en nous reprochant tout et rien. Mais j’ai beaucoup appris et je dois admettre que j’ai sous-estimé l’ampleur des conservatismes au sein de la CGEM». Et de se lancer, avec méthode, dans une argumentation censée lever le voile sur nombre d’incompréhension. Les voici.
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Du nombre des siégeants au Conseil d’administration L’on reproche à Mezouar un certain «décalage statutaire», dans la mesure où le nombre des membres désignés lors du conseil tenu le 24 septembre 2018 dépasse le seuil toléré par les statuts, soit le tiers des membres dits de droit (présidents des fédérations, des commissions et des Unions régionales).
«Personnes parmi nos critiques n’a relevé que le nombre des personnes devant siéger au sein du Conseil d’administration n’a, à aucun moment de l’histoire de la CGEM, été respecté, du temps des candidats uniques. Et si nous avons décidé de faire de même, c’est dans le cadre d’une marge précise, celle du premier tiers de la représentation, les deux autres tiers étant statutaires. Nous avons opté pour l’ouverture… Je l’ai dit le premier jour: les statuts de la CGEM sont dépassés et il faut agir vite pour les changer afin de garantir une représentativité optimale».
S’il affirme qu’en interne, les membres désignés hors-statuts ont été validés et qu’aucune réaction ne s’est faite entendre, il dit découvrir que «certaines voix ont préféré se faire entendre ailleurs, dans les médias, pour dénoncer cet élargissement. Leur seule volonté était de nuire au déroulement du conseil. Ceci, et je tiens à le préciser, alors que les statuts n’ont à aucun moment été sacrés mais ont toujours été affaire d’ententes».
«J’apprends aussi que j’étais un extraterrestre, un politique, un "n’est pas des nôtres", alors que le problème ne s’était encore jamais posé avant mon élection», s'étonne-t-il, dans une légère ironie.
Du rififi au sein du groupe parlementaire à la Chambre des conseillers
Le conflit opposant le président du chef du groupe parlementaire de la CGEM à l’ex-vice présidente du bureau de la chambre des conseillers (Neila Tazi a perdu ce poste lors des élections de renouvellement des structures de la chambre à mi-mandat) a beaucoup pesé sur le climat régnant au sein de la confédération. Là encore, on reproche à Mezouar son silence et surtout son incapacité à trancher.
«Je n’ai jamais été à l’aise avec le fait que la CGEM intègre un organe législatif. De par mon expérience en politique, je savais que la CGEM allait devoir intervenir sur des dossiers autres qu’économiques et prendre position, au risque d’être impactée en tant qu’organisation», explique Salaheddine Mezouar.
Les dés ayant été au préalable jetés, «il fallait penser à codifier cette représentativité. Or, cela n’a pas été fait et la désignation tant du président du groupe, des vice-présidents et des présidents des commissions est restée le fait du prince, soit du président de la CGEM… Je me suis opposé à cet état de fait en soulignant qu’en l’absence de consensus autour de ces postes, il fallait passer par la case élective. Pour moi, il n’y a pas de rente de positions et je m’y oppose. C’est en essayant de mettre en place des règles que j’ai été confronté, là encore via les médias, à une farouche opposition. Certaines voix discordantes [au détriment de] la logique, ne savaient par ailleurs même pas qu’à mi-mandat, toutes les instances de la deuxième chambre devaient être renouvelées», dit-il.
D'où cette promesse du président de la CGEM: les nouvelles règles figureront bel et bien dans les statuts .
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Du départ d’Ahmed Rahhou
Puis, il y a eu le départ inattendu d’Ahmed Rahhou, lequel, il y a tout juste quelques semaines, co-présidait le groupe de travail conjoint CGEM-Gouvernement, chargé de la préparation du Projet de loi de finances 2019. La démission de Rahhou de son poste de vice-président a fait couler beaucoup d’encre, et beaucoup y ont vu une prise de distance par rapport à un climat devenu intenable au sein de la confédération patronale.
«Rahhou est un homme engagé, aux idées claires, qui a apporté beaucoup de valeur ajoutée à la CGEM… Mais si une personne souhaite quitter nos instances ou prendre du recul, libre à elle. On ne peut que respecter[ce choix] et c’est ce que j’ai fait. De là à dire que Rahhou a "claqué la porte" par principe, c’est "abusé". N’oublions pas qu’il a énormément de charges par ailleurs et, surtout, que c’est à lui de s’expliquer sur sa décision s’il le souhaite», répond Mezouar.
Des frais et autres voyages coûteux à l’étranger
Depuis son élection à la tête du patronat, on ne compte plus les voyages et autres missions effectuées par Salaheddine Mezouar à l’étranger, par ailleurs financés aux frais de la CGEM, une pratique différente de ce qu’on a l’habitude de voir avec ses prédécesseurs.
«Je consacre 90% de mon temps à la CGEM et en 4 mois seulement, nous avons acté 50 engagements à l’international. Quand je voyage, ce n’est pas pour le plaisir. J’ai déjà fait le tour du monde plusieurs fois. Mais j’ai un rôle à jouer et quand je me déplace, c’est par devoir. Cela fait d’ailleurs partie de la diplomatie économique, que d’aucuns appellent de leurs voeux», se défend le patron des patrons.
«Je n’ai pas à payer [ces frais] de ma poche et je refuse de le faire. C’est à l’organisation de financer ses actions. Je suis président de la CGEM et dans le cadre de cette fonction, je me déplace aux frais de la CGEM. C’est clair et totalement transparent. D’autant que l’organisation à les moyens de son action: 20 millions de dirhams [sont] entre les mains de la fondation en plus des sponsorings et autres formes de financements dont elle bénéficie. Et si mes déplacements coûtent cher, c’est l’agenda qui l’a imposé», explique l’intéressé.
«La CGEM est sollicitée à l’international et elle a un rôle à jouer sur cet aspect. Je dis, là encore, que ses statuts et règlements sont en déphasage par rapport à cet impératif. Il nous faut une CGEM International, avec ses propres instances, son budget et son président», tranche-t-il.
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Du silence de la CGEM sur la Loi de finances
Le silence observé par le président de la CGEM, au moment des débats sur le Projet de Loi de finances 2019 a suscité beaucoup d’interrogations auprès des observateurs de la scène politico-économique nationale.
«Le rôle que l’on peut jouer, et en dehors de toute politique spectacle, c’est en amont de la présentation de la Loi de finances, et non après. C’est ce que nous avons adopté comme démarche. Je suis un ancien ministre des Finances et je sais de quoi je parle. C’est ainsi que nous nous sommes au préalable réunis tant avec la DGI, l'administration de la Douane qu’avec le gouvernement. Dans nos négociations, nous avons tenu compte d’un certains nombre de réalités. Il y a d’abord celles des opérateurs que nous avons rencontrés lors de notre tournée, à savoir le manque de visibilité par rapport à l’avenir. Il y a aussi les discours royaux qui insistent sur la question sociale. Il nous fallait donc en tenir compte», contextualise Mezouar.
«C’est ainsi que nous avons défendu un certain nombre de priorités. A commencer par l’argent des entreprises, qui est toujours entre les mains de l’Etat sous forme d’arriérés de paiement et de TVA. C’était notre première bataille et nous l’avons gagnée dans la mesure où l’Etat a réagi et que nombre d’entreprises disposent de cash. Tout comme nous avons été très actifs sur la réforme des Centres régionaux d’investissements, ainsi que sur la décentralisation et les territoires. Nous avons délivré [nos messages] sur ce que nous considérons comme des priorités tout en évitant de faire de grandes sorties», a ainsi expliqué Salaheddine Mezouar.
Pour le reste, le patron des patrons affirme attendre les Assises de la fiscalité, pour lesquels son équipe n'entend pas se contenter de simples recommandations. «Nous sommes en train de préparer des mesures applicables. Nous espérons être co-producteurs d’un cadre fiscal, que nous souhaitons stable et lisible». Dont acte.