Si le gouvernement a pu déjà trancher sur le sort des salariés déclarés à la CNSS qui se sont retrouvés en arrêt de leur activité à cause des effets de la crise du coronavirus (une indemnité mensuelle de 2.000 de dirhams leur est allouée, et ils continueront à percevoir les allocations familiales qui leur sont dues, ainsi que le remboursement de leurs frais médicaux via l'Assurance maladie obligatoire), la problématique paraît un peu plus compliquée quand on aborde le dossier des travailleurs non déclarés à la CNSS, exerçant leur activité informellement, surtout en l’absence de filets sociaux adaptés.
Aujourd'hui, au Maroc, plus de 5 millions de ménages ne bénéficient d’aucun mécanisme de couverture sociale qui permet de subvenir à leurs besoins élémentaires, en ces moments difficiles.
Deux solutions s'offraient aux membres du Comité de veille économique (CVE): soit garder le schéma classique, un système d’assistance directe à grande échelle, à travers la distribution de paniers par des agents d’autorité locale, soit profiter de cette conjoncture exceptionnelle pour moderniser le modèle social et accélérer l’inclusion financière de tous. Fort heureusement, lors de leur troisième réunion, hier, lundi 23 mars 2020, les membres du CVE ont privilégié le second choix.
Selon nos informations, les débats parmi les membres du CVE ont convergé vers l'idée d'une aide directe de 800 à 2.000 dirhams mensuels, selon la taille du ménage, à destination des travailleurs non affiliés à la CNSS (rappelons ici encore que plus de 5 millions de ménages sont concernés). La mise en œuvre de ce mécanisme devrait passer par un compte (un portefeuille électronique ou "compte wallet") lié à un numéro de téléphone mobile.
«Pour les deux prochains mois, cette allocation ne pourra être utilisée que pour les transactions avec les commerçants encore ouverts ou pour des transferts de compte à compte», confie, interrogé par Le360, un membre du CVE, expliquant qu’il serait impossible, durant les trois prochains mois, de convertir l'ensemble des comptes wallet en monnaie en cash, y compris ceux qui sont aujourd'hui actifs. Tout cela se ferait sans aucune interaction physique, dans le respect de la distanciation sociale désirée, ajoute ce membre du CVE.
Quid des prérequis techniques nécessaires au fonctionnement de ce mécanisme?
Au moins 8 établissements de paiement ont des applications permettant une ouverture de compte wallet en moins de deux minutes, via un smartphone. Le taux de pénétration des smartphones au Maroc dépasse aujourd'hui 80% et il existe même des solutions en USSD (pour "Unstructured Supplementary Service Data", déjà utilisée dans nombre de pays du continent) qui ne nécessite pas de détenir un smartphone. Plus de 70.000 commerçants de proximité sont déjà associés au mobile money (même s'ils ne sont pas encore actifs) en plus de l'ensemble des différents réseaux des grandes surfaces du Maroc. Il est par ailleurs très facile de recruter et de mettre à niveau des milliers de nouveaux commerçants, une fois que cette aide sera distribuée à cette catégorie de la population.
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Le process est simple et rapide pour chaque ménage, insiste cet interlocuteur.
Première étape: avec l’aide d’un agent d’autorité ou d'un agent de proximité s’il (elle) le souhaite, chaque chef(fe) de ménage aujourd’hui non déclaré(e) à la CNSS poura s'inscrire sur une plateforme dédiée en renseignant ses données personnelles sur un formulaire: son activité professionnelle, une photographie numérique de sa Carte nationale d’identité (CIN), une photographie d’identité numérique, et une photographie de son livret de famille (afin d'avoir éventuellement accès à une plus grande aide). Ce(tte) chef(fe) de famille transmettra également son numéro de téléphone sur ce formulaire, qui sera associé au wallet. Le (la) chef(fe) de ménage peut même souscrire, de façon optionnelle s’il (elle) le souhaite à une prestation sociale de base (AMO+retraite) de la CNSS, s’il (elle) est prêt(e).
Deuxième étape: le (la) chef(fe) de ménage ouvre un compte mobile money auprès de l'opérateur de son choix en renseignant le KYC (pour "Know your customer", ou connaissance du client, soit le nom donné au processus permettant de vérifier l’identité des clients d’une entreprise) demandé. Ce compte lui permettra de collecter jusqu’à 4.000 dirhams dans un premier temps.
Troisième étape: la CNSS versera l’allocation mensuelle (800 dirhams pour une personne, 1.200 dirhams pour un couple, 200 dirhams par enfant supplémentaire), une fois par mois sur le compte wallet.
Quatrième étape: le (la) chef(fe) de ménage pourra s’approvisionner auprès de n’importe quel commerçant ou de n'importe quelle grande surface équipée en vivres quotidiens, ou transférer cet argent à un proche s’il (elle) le souhaite.
Cinquième étape: les commerçants peuvent payer leurs fournisseurs et distributeurs par le biais de leur propre compte, alimenté par les paiements des ménages. Seuls les distributeurs peuvent convertir le mobile money sur leurs comptes sur les 3 prochains mois (pour éviter une distribution de monnaie en cash par les commerçants).
Cette solution a l’avantage de ne pas bloquer la machine économique, d’inscrire la population dans un mécanisme social, d’accélérer l’inclusion financière et le déploiement du mobile money.
Des ajustements par rapport aux mécanismes prévus pour le mobile money sont à prévoir, suggère ce membre du CVE, interrogé par Le360:
• Une flexibilité sur le KYC pour l’ouverture du compte, jusqu’à 4.000 dirhams (pas de présence physique nécessaire) et une régularisation après un délai de 3 mois.
• Rehausser ou éliminer temporairement le plafond des comptes commerçants (aujourd’hui fixé à 20.000 dirhams) pour ne pas entraver leur activité.
• Limiter le prix du sms de confirmation à 5 centimes (ou l'éliminer).
• Rassurer officiellement les petits commerçants sur le fait que les revenus du mobile money ne seront pris en compte dans aucune déclaration fiscale pour l’année 2020, et ne pourront être utilisés comme base pour un redressement fiscal ultérieur.
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Par ailleurs, trois task force doivent être mises en place, ajoute cette source du CVE:
• Une task force de mise à niveau technique et des ressources humaines de la CNSS pour gérer la masse de nouvelles inscriptions et des enregistrements, éviter les double inscriptions (y compris avec la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale -CNOPS, par exemple) et garantir les versements dans les délais.
• Une task force de communication pour expliquer le process à toute la population et la facilité de sa mise en œuvre.
• Une task force de recrutement de nouveaux commerçants (qui pourra être déléguée à l’association professionnelle des établissements de paiement).
Afin de compléter ce mécanisme, sachant que le Groupement Professionnel des Banques du Maroc (GPBM) a accordé la possibilité de reporter les échéances de crédit à ceux qui le demandent, un moratoire de 3 mois sur l'ensemble des loyers dûs par cette catégorie de la population marocaine pourrait être décrétée, afin de garantir le fait que cette manne aille directement aux besoins essentiels de ces personnes.