La Ligne de précaution et de liquidité (LPL) a été renouvelée trois fois, sans qu’elle ne soit utilisée. Qu’est-ce qui a motivé son activation en avril 2020?
Le Maroc a conclu pour la première fois la LPL en 2012 et l’a renouvelée pour la troisième fois en décembre 2018, pour une durée de deux ans. L’intention était de ne l’utiliser que pour faire face à un besoin potentiel de balance des paiements qui pourrait résulter de chocs externes extrêmes, tels qu’un ralentissement plus prononcé de la croissance dans la zone Euro, une forte hausse des prix du pétrole, un durcissement des conditions de financement extérieures, des tensions géopolitiques majeures, etc.
De fait, jusqu’à l’éclatement de la pandémie de Covid-19, le Maroc n’a jamais "tiré" sur cette ligne, et cela, en raison de l’amélioration progressive de nos marges macroéconomiques et de l’absence de chocs exogènes trop sévères.
Mais je dois dire que même si nous ne l’avons jamais utilisée jusqu'à présent, la LPL a servi l’économie marocaine, en donnant un signal fort aux marchés sur la bonne orientation de nos politiques économiques.
Ce signal a notamment grandement contribué à l’amélioration des conditions de financement du Trésor sur les marchés financiers internationaux et à la dynamique de l’afflux des investissements directs étrangers.
Maintenant que le risque est là, il était plus que normal que nous utilisions la LPL. Je dirais même, et sans risque de me tromper, que ce choc, par l’ampleur de son impact, ne faisait pas partie des scénarios modélisés pour le recours à la LPL.
L’éclatement de la pandémie de Covid-19 s’est traduit, comme vous le savez, par une crise mondiale multidimensionnelle à la fois sanitaire, économique et sociale. L’ampleur de cette crise inédite devrait exercer un choc disproportionné sur les marges de manœuvre macroéconomique de la majorité des pays dans le monde, y compris, bien entendu, sur le Maroc.
Les prévisions des différentes organisations internationales montrent que cette pandémie fera plonger l’économie mondiale dans une récession peut-être sans précédent. De par son ouverture sur l’économie mondiale, l’économie nationale sera impactée, notamment à travers les secteurs et les activités orientés vers l’extérieur, à savoir les métiers mondiaux du Maroc, les recettes au titre des voyages, les transferts des Marocains résidents à l’étranger et les Investissements directs étrangers.
Par conséquent, le tirage sur la LPL permettra d’atténuer l’impact de cette crise sur notre économie et de maintenir nos réserves de change à un niveau confortable, à même de maintenir une croissance économique satisfaisante, d’assurer la stabilité du marché des changes et de consolider la confiance des investisseurs et partenaires étrangers dans notre économie. Elle nous offre également une marge pour affronter les rebondissements éventuels de cette crise, et pour saisir les opportunités de reprise dès qu’elles se manifestent.
Comment a été opéré ce tirage et combien de temps a-t-il nécessité?
La LPL ne peut être accordée qu’à des pays qui ont des fondamentaux économiques solides et, de ce fait, elle prévoit des procédures souples et rapides pour son décaissement.
Ainsi, l’accord conclu avec le FMI donne au Maroc le droit irrévocable de tirer à n’importe quel moment, et sans aucune condition, sur cette ligne une fois que les risques sont confirmés et engendrent un besoin de balance des paiements ou de réserves.
Le tirage a été réalisé de manière quasi-instantanée, soit 7 jours à compter de la date de notification de la demande de notre pays au département chargé des finances du FMI.
Le communiqué du ministère des Finances assure que ce tirage n’aura aucun impact sur la dette extérieure du Trésor. Comment est-ce possible? Quel impact aura-t-il sur les réserves de change, notamment en termes de mois d’importations couverts?
Je m’explique: les statuts du FMI prévoient deux options pour l’utilisation de ses ressources. Dans la première option, le crédit du FMI finance exclusivement la balance des paiements. Dans la deuxième option, il finance également le budget à travers le versement au Trésor de la contrevaleur en dirhams du tirage en devises effectué. Donc, et même si l’objectif principal des crédits du FMI est de financer la balance des paiements, la deuxième option est également offerte aux pays, étant donné la relation de causalité qui existe entre les déficits du Trésor et ceux de la balance des paiements.
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Notre pays a, dans une démarche prudente, retenu la première option, compte tenu du fait qu’il dispose actuellement d’une large panoplie d’instruments de financement du déficit du Trésor, notamment à travers le marché des adjudications, le marché financier international et les financements bilatéraux et multilatéraux.
Par conséquent, le produit du tirage sur la LPL a été affecté au soutien de la balance des paiements et au renforcement de nos réserves de changes. Il a été mis à la disposition de Bank Al-Maghrib, qui, en vertu de son statut, est chargée de détenir et de gérer les réserves de change du pays. Il sera inscrit dans son bilan, conformément aux normes comptables, à la fois comme "avoir" et "engagement" extérieurs et remboursé à partir de ses réserves.
Enfin, concernant le deuxième volet de votre question, le tirage de la LPL renforce nos réserves de change d’environ 18 jours d’importations de biens et de services.
Face à l’incertitude qui plane sur l’export, les transferts des MRE, etc., faut-il craindre une crise sur la balance des paiements? Si la crise du coronavirus venait à se prolonger au-delà du mois de juin prochain, quel impact aurait-elle sur les conditions de financement sur le marché international?
La décision du tirage sur la LPL ainsi que son niveau ont été basés sur un scénario de choc extrême où la crise du Covid-19 durera au delà du mois de juin et affectera l’ensemble de l’année 2020, avec une reprise attendue à partir de 2021.
De ce fait, le montant du tirage permettra de couvrir le besoin de financement découlant de ce scénario, et devra maintenir nos réserves à un niveau adéquat par rapport aux incertitudes entourant le développement de cette crise. Il conforte donc nos marges et devra faciliter au contraire nos sorties sur les marchés financiers internationaux à des conditions favorables.
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Notre balance des paiements, en dehors du choc exogène et temporaire actuel, est largement soutenable et devrait retrouver sa tendance d’amélioration à partir de 2021, en raison des politiques économiques saines menées par notre pays, comme en témoigne notre éligibilité à la LPL depuis 2012.
Si nous restons sur un scénario où la crise serait de courte durée, la marge macroéconomique dont dispose notre pays suffira pour faire face aux effets de cette crise.
Dans le cas où il s’avère que le choc de la crise est moins sévère que prévu, nous aurons la possibilité de rembourser la LPL par anticipation, en partie ou en totalité, à n’importe quel moment et sans aucune condition.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché de la dette souveraine? Le timing est-il propice à une sortie du Trésor sur le marché international?
Au début du déclenchement de la crise sanitaire, et surtout après les mesures prises par plusieurs pays développés pour freiner la propagation de la pandémie, les marchés financiers de manière générale, et le marché de la dette souveraine en particulier, ont connu une grande volatilité avec très peu d’émissions sur le marché primaire. Le marché était quasiment fermé, sauf pour les grandes signatures.
Cependant et contrairement à la crise de 2008, la réaction de façon quasi-synchronisée et coordonnée des principales banques centrales a permis, dans une certaine mesure, de réduire la volatilité qui a caractérisé les marchés au début de cette crise.
Il est vrai que les taux de base sont actuellement faibles et devraient le rester pendant un bon moment. Toutefois, les spreads (primes de risques) sont devenus de plus en plus larges pour les nouvelles émissions et le coût de financement devrait être plus élevé que celui de l’année dernière.
Bien évidemment, le niveau d’augmentation des coûts de financement est relatif et dépend du niveau de rating des émetteurs. Les investisseurs achètent et retiennent les bonnes signatures, et affichent une grande aversion envers le "papier risqué".
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Aujourd’hui, le Maroc reste le seul pays du continent africain à avoir des obligations internationales sur le marché financier international, notées "Investment Grade" et il est, à ce titre donc, considéré parmi les pays émergents ayant une bonne signature.
Cela vient d’être confirmé le 3 avril dernier par l’agence de notation Standard and Poor’s qui a confirmé la note "investment grade" de notre pays avec une perspective stable.
Ce sont des éléments positifs qui présagent d’un accueil favorable de la part des investisseurs internationaux en cas d’une éventuelle sortie du Maroc sur le marché financier international ainsi que de conditions de financement intéressantes, eu égard au contexte actuel.
Comme pour les émissions antérieures, nous assurons un suivi quotidien de l’évolution des conditions sur le marché financier international pour saisir les meilleures opportunités qui se présentent afin d’optimiser notre coût de financement.
La commission des finances à la Chambre des représentants vient d’adopter un décret autorisant le dépassement du plafond des emprunts extérieurs, initialement fixé à 31 milliards de dirhams au titre de la loi de finances 2020. Jusqu’où le Trésor peut-il s’endetter à l’extérieur. Y a-t-il une limite de soutenabilité à ne pas dépasser?
Permettez-moi d’apporter une précision par rapport à ce point. Le fait que le tirage de la LPL a coïncidé avec le jour de l’adoption par le parlement de ce décret-loi est une pure coïncidence de calendrier.
Pour revenir à votre question, je dois rappeler que nous disposons de marges importantes en matière d’endettement extérieur. En effet, la part de la dette extérieure dans notre portefeuille de la dette du Trésor est limitée et se situe aux alentours de 20%. Donc le risque de soutenabilité est maîtrisé.
Il en est de même des risques associés. La structure de la dette extérieure est essentiellement à moyen et long terme (plus de 88%), et son coût moyen ne dépasse pas 2,6%.
La structure par devise est quasiment alignée sur la structure du panier du dirham, ce qui réduit considérablement les risques de change.
Le service de la dette est lissé dans le temps, ce qui limite son risque de refinancement.
Le Maroc est appelé à mobiliser des financements extérieurs supplémentaires. En plus de la Banque mondiale et du FMI, quelles sont les autres institutions sollicitées à cet effet?
Dès la constatation des premiers impacts de la pandémie du Covid-19 sur l’économie marocaine, dans le cadre d’une démarche anticipative d’un éventuel prolongement de la crise, nous avons exploré toutes les options possibles de coopération avec les partenaires financiers multilatéraux et bilatéraux afin de soutenir les efforts entrepris pour atténuer les effets négatifs de cette pandémie sur les plans sanitaire, social et économique.
A ce niveau également, je dois souligner que chaque fois que nous le pouvons, nous concluons des accords qui nous permettent de prémunir notre économie contre les chocs, sans engager nos marges de manœuvres macroéconomiques.
Il y a eu la LPL, maintenue pendant 8 ans, et qui nous a assuré un décaissement rapide en cas de chocs. Tout récemment, nous avions conclu une ligne de crédit contingente avec la Banque mondiale à ne décaisser qu’en cas de catastrophe naturelle. C’est ce que nous avons fait récemment pour un montant de 270 millions de dollars US. Ce tirage a été versé au Trésor et, bien évidemment, impacte la dette extérieure.
De même, la crédibilité et la confiance dont jouit notre pays auprès de ses partenaires financiers lui offre de multiples opportunités pour mobiliser d’autres financements extérieurs aussi bien sous forme de dons que de prêts à des conditions favorables.
A ce titre, je citerai l’appui de l’Union Européenne, sous forme de dons d’un montant de 450 millions d’euros durant l’année 2020. Cet appui sera spécifiquement dédié aux besoins du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Covid-19, créé à l’initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
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De même, d’autres bailleurs de fonds partenaires du Maroc, notamment la BAD, la BEI, le FMA {le Fonds monétaire arabe, Ndlr}, d'autres organismes arabes et islamiques, l’AFD, la KfW, etc., ont manifesté, de leur propre initiative, leur volonté de soutenir le Maroc dans ce contexte difficile, en mettant à sa disposition plusieurs facilités financières pour accompagner les secteurs socioéconomiques, notamment la santé, la protection sociale et le secteur financier.
En parallèle, la BEI, la BERD et la SFI, ont pris des mesures pour soutenir les entreprises marocaines (moratoires, fonds de roulement, etc.), et accompagner le secteur bancaire (lignes de crédit) afin de maintenir l’accès au financement des PME et répondre aux problèmes de liquidité du secteur privé.
Les ressources issues de la LPL, ajoutées aux autres prêts accélérés par la Banque mondiale, la BEI, etc., ne suffisent-elles pas à couvrir les besoins du Maroc, y compris en cas de prolongement de la crise du Covid-19?
Comme je l’ai mentionné dans ce qui précède, le tirage sur la LPL est basé sur un scénario de choc extrême et devra couvrir les besoins de financement qui en découlent. L’objectif de ce tirage est de répondre au besoin de financement immédiat tout en créant un coussin de sécurité pour faire face à des chocs éventuels liés aux développements inattendus de la crise du Covid-19.
Personne, même les organisations internationales spécialisées, ne sont en mesure de prévoir avec certitude le développement futur de cette crise. Tout le monde travaille avec plusieurs scénarios. Ça peut être une crise de courte durée, suivie d’une reprise rapide, comme elle peut durer longtemps et se transformer en crise systémique voire même en dépression. Le plus important est de mettre les chances de notre côté, que ce soit pour soutenir notre économie en cas de prolongement du choc ou pour lui permettre de rebondir rapidement si le choc dure moins.
La crise du Covid-19 aura-t-elle une incidence sur la stratégie du Trésor en matière de gestion de la dette?
La stratégie de financement du Trésor vise à lui assurer un financement stable et durable, au meilleur coût possible et à un niveau de risque tolérable. Elle se base sur un arbitrage entre le financement interne et le financement externe tout en s’engageant sur le développement et la modernisation du marché intérieur des bons du Trésor.
L’autorisation de dépasser le plafond des financements extérieurs, qui était fixé par la loi des finances 2020 à 31 milliards de dirhams, ne signifie pas que nous allons réorienter notre stratégie de financement vers une mobilisation massive des financements extérieurs au dépend des financements intérieurs.
Certes, le besoin de financement devrait être plus important que prévu cette année à cause des effets de la pandémie du Covid-19 sur l’exécution du budget.
Comme vous le savez, la stratégie de financement du Trésor est arrêtée en fonction de plusieurs facteurs. Dans le cas d'espèce, la spécificité du moment veut que nous mobilisions un maximum de ressources en devises car il y a un risque sur nos rentrées en devises. Par conséquent, le besoin de mobiliser davantage de financements extérieurs va augmenter au delà du plafond initial. Outre la contribution au financement d’une partie du déficit budgétaire, ce besoin se justifie par le souci de renforcer le niveau de nos avoirs extérieurs dans le contexte actuel. Cela dit, le marché intérieur a été, et continuera à être, la principale source de financement du Trésor. C’est notre engagement envers ce marché pour assurer sa continuité et son bon fonctionnement. N’oublions pas que ce marché constitue la pierre angulaire de notre système financier, vu le rôle qu’il joue notamment dans la formation des taux d´intérêt et son importance pour les investisseurs institutionnels.
Pour ces raisons, nous allons donc continuer à nous baser majoritairement sur les ressources internes pour assurer le financement du Trésor. L’augmentation du plafond des financements extérieurs visera, en plus de la contribution au financement du Trésor, à alimenter nos réserves de change dans ce contexte où notre balance des paiements sera soumise à de rudes épreuves, surtout si la crise sanitaire venait à perdurer.
Enfin, je voudrais souligner qu’avec ce contexte difficile, sans précédent, nous devons rester vigilants, comme nous l’avons toujours fait, par rapport à la maîtrise des risques de notre portefeuille de dette.
Une dépréciation de la valeur du dirham a été constatée sur le marché des changes. Faut-il s’en inquiéter? L’élargissement de la bande de fluctuation du régime flexible du dirham a-t-il contribué à cette évolution?
Effectivement, entre le 15 mars 2020 et le 10 avril 2020, le taux de change moyen Dollar US/Dirham sur le marché interbancaire a évolué dans un intervalle compris entre -1,96% et +3,52% par rapport au cours central, traduisant une dépréciation de la valeur du dirham.
Toutefois, cette évolution est tout à fait normale et reflète l’état de la demande et de l’offre de devises, compte tenu du contexte international actuel, marqué par la crise de la pandémie de Covid-19 et les risques sur les secteurs tournés vers l’extérieur et, par là, sur la liquidité en devises des banques.
A mon avis, le fait que le marché réagisse aux évènements et reflète les anticipations des opérateurs, est plutôt un signe d'efficience du marché. Tous les marchés d’actifs et tous les marchés efficients dans le monde réagissent ainsi.
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Cette évolution n’est donc pas induite par l’élargissement de la bande de fluctuation du dirham. Conformément à l’objectif de la réforme du régime de change, cette dépréciation peut, certes, contribuer à atténuer le choc résultant de la pandémie de Covid-19, mais son effet reste limité, étant donné le contexte particulier de cette crise, marqué notamment par la perturbation des chaînes de valeur internationales et des échanges mondiaux.
Avec le tirage sur la LPL, les marchés auront plus de visibilité et, par conséquent, le taux de change du dirham se maintiendra dans les semaines qui viennent dans une trajectoire de stabilité.
De toute façon, et à ce stade de la réforme, la marge de fluctuation du dirham reste limitée et Bank Al-Maghrib est habilitée à intervenir sur le marché des changes pour assurer sa liquidité et éviter des fluctuations excessives du taux de change du dirham.