C'est tard dans la soirée du lundi 25 juillet dernier que Maroc Telecom a publié un communiqué de presse. L'information, laconique, avait pour objectif d'informer le grand public que l'Agence nationale de régulation des télécoms (ANRT), venait de le sanctionner d'une lourde amende, en lui infligeant un montant record d’astreintes de 2,45 milliards de dirhams. Un montant qui vient s'ajouter aux 3,3 milliards de dirhams déjà payés en janvier 2020 pour «abus de position dominante» sur le marché des services de télécoms fixes.
Une astreinte qui apporte la preuve tout d’abord que l'organe de gouvernance du secteur, l’ANRT et son comité de gestion, démontre sa ferme volonté par des actes pour appliquer la loi, même lorsqu’il s’agit d’une entreprise aussi puissante que Maroc Telecom, dans laquelle l’Etat marocain continue à détenir une participation importante, et donc peut influer sur ses organes de gouvernance.
La décision est salutaire, parce qu’elle concerne un sujet qui touche l'ensemble des usagers d’Internet au Maroc. En effet, si le taux de pénétration de d'Internet au Maroc est passé de 83% à 93% entre 2020 et 2021, pour toucher un total de 33,86 millions d’abonnés, toutes technologies confondues, celui de l’Internet fixe ne dépasse guère les 5,6%, avec moins de 2 millions de lignes actives. Une situation qui s'explique par le refus catégorique de Maroc Telecom de permettre à ses concurrents d'utiliser ses infrastructures fixes, pour qu’ils puissent développer des offres d'Internet fixe sans avoir besoin de créer par eux-mêmes des infrastructures dont Maroc Telecom a hérité de l'ancien monopole dont cet opérateur de télécoms est issu -les PTT.
Plus grave encore, le nombre de lignes d'Internet fixe au Maroc en 2022 est encore inférieur au nombre de lignes fixes dont le Maroc disposait à la fin des années 90, au moment de l'ouverture du secteur à la concurrence. Or, le Maroc a beaucoup construit au cours des vingt dernières années. Le parc de logements neufs devrait avoisiner les 3 à 4 millions d’unités, toutes équipées en infrastructures par les promoteurs et remis gracieusement à l’opérateur historique. Ainsi, le marché potentiel des ménages éligibles à l’Internet fixe devrait avoisiner les cinq millions. Tous ces ménages ont été privés de l’accès à l’Internet fixe, pour la simple raison que Maroc Telecom a décidé de garder son monopole sur ce marché, privant ainsi des millions de ménages d'un service qui est pourtant devenu une commodité de base. C'est cette situation qui a fait le succès des box d’accès à Internet développés par les concurrents de Maroc Telecom, et qui totalisent près d'un million de clients.
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«Les technologies mobiles restent largement plus coûteuses avec des performances qui ne peuvent égaler celles du fixe», souligne un expert ès-télécom qui a requis l'anonymat. Mais Maroc Telecom trouve doublement son compte dans cette situation. «Il gère la rareté des services fixes en faisant une rente, ajoute la même source, tout en épuisant les capacités d'investissement de ses concurrents, les obligeant à consacrer toutes leurs ressources au développement des seuls réseaux mobiles». Mais qu'importe, du moment que Maroc Telecom continue à afficher des résultats financiers qui n'ont pas d’équivalent dans le secteur des télécoms dans le monde entier.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, le régulateur a mille fois raison de sanctionner Maroc Telecom. Plus encore, la gravité de la situation nécessite même un suivi régulier, afin de sanctionner comme il se doit, et selon les termes de la loi cet opérateur historique, jusqu'à ce que son top management obtempère et consente enfin à ouvrir le marché du fixe, afin qu’enfin les consommateurs puissent disposer d’un accès à internet fixe en libre concurrence, et qui répondrait à leurs besoins.
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Certaines voix s'élèvent d’ailleurs pour soutenir l'idée de la création d'un opérateur d'infrastructures neutre, à même de résoudre le problème de l’accès à l'Internet fixe. «Cette nouvelle crise est une opportunité qui renforce le scénario (étudié par l'ANRT) de création d'un opérateur d'infrastructures de télécoms national, qui remplirait le rôle du chaînon manquant dans l'écosystème des télécoms au Maroc. L'ANRT doit se concentrer sur ce scénario et accélérer sa mise en œuvre», a suggéré, dans un message posté sur LinkedIn, Khalid Ziani, expert IT & Télécoms.
«Sur le plan budgétaire, les 2,5 milliards de dirhams de sanctions versés par Maroc Telecom au Trésor public devraient servir au financement de ce nouvel opérateur d'infrastructures télécoms national pour lui permettre d'accélérer le plan de transition du pays vers la fibre optique et la 5G», a-t-il aussi expliqué.
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Interrogés par Le360, plusieurs observateurs aguerris du secteur des télécoms estiment que le recours à un opérateur neutre est une fausse bonne idée qui a été testée dans plusieurs pays dans le monde, mais qui a abouti à des échecs coûteux et non efficaces.
Un simple exemple permet en effet d'illustrer ce propos: l'ANRT souhaite que cinq millions de ménages puissent avoir accès à l’Internet via la fibre optique. Or, dans tous les pays du monde où le FTTH s'est développé, les acteurs ont commencé par équiper les zones denses. Or, justement, toutes les zones denses au Maroc disposent d'infrastructures fixes administrées par Maroc Télécom. Ainsi, un nouvel opérateur qui viendrait déployer de nouvelles infrastructures dans ces quartiers ne fera que dupliquer des actifs à des coûts élevés, qui ne peuvent que faire augmenter les prix à destination du consommateur final.
La solution qui a fait ses preuves partout dans le monde est bien évidemment celle de faire respecter les termes de la loi par l’opérateur historique, pour qu'enfin les consommateurs, mais aussi les services publics et les entreprises, puissent avoir accès à un Internet fixe de qualité.
Néanmoins, Abdeslam Ahizoune, qui préside aux destinées de Maroc Telecom depuis sa création (voire avant), serait-il capable, après deux sanctions financières assez lourdes représentant près d'une année de résultats nets de l'entreprise, de prendre les mesures à même d'ouvrir enfin le marché du fixe? Le360 a interrogé des personnes qui le connaissent. Réponse unanime: non. Il faudra donc très probablement rechercher une solution ailleurs.