La liaison électrique sud-centre de l’ONEE s’inscrit-elle en concurrence avec le circuit fermé du tandem OCP-Engie?

Contrairement à ce que le média «LeDesk» a voulu faire croire en tentant de démentir le contenu d’un article publié sur «Le360», le projet du circuit électrique fermé du duo OCP-Engie, dont la viabilité et la traduction technique restent discutables, ne peut en aucun cas se substituer au projet de liaison sud-centre de l’ONEE.

Le 10/12/2024 à 08h01

En marge de la visite d’État au Maroc du président français Emmanuel Macron, le groupe OCP a signé un accord avec l’énergéticien Engie. Outre le développement d’une capacité de production d’électricité issue de sources renouvelables, le deal prévoit la création d’une boucle électrique en circuit fermé reliée à ces nouvelles sources d’énergie renouvelable.

Dans un article paru lundi 18 novembre, le média parisien Africa Intelligence affirmait que «le groupe OCP parie sur l’annulation pure et simple du projet d’autoroute électrique Dakhla-Casablanca de l’ONEE et veut y substituer le sien», ajoutant que le géant phosphatier marocain «va s’appuyer sur Engie afin d’évaluer la faisabilité de la ligne, qu’il espère finaliser d’ici à 2040, et dont les coûts sont estimés à 1 milliard d’euros».

Comment peut-on alors envisager l’annulation du projet d’autoroute électrique sud-centre, méga-infrastructure hautement stratégique, longue de 1.400 kilomètres, et dont l’ONEE venait (comme nous le révélions en exclusivité trois jours auparavant) de dévoiler la liste des cinq candidats en lice pour sa construction? Puis, le projet OCP-Engie serait-il en mesure de se substituer à celui de l’ONEE?

D’ailleurs, le même jour, Le360 avait publié un article pour lever la possible confusion laissée par Africa Intelligence. Une source proche du dossier a tenu à nous préciser qu’il s’agit de deux projets totalement distincts, et qu’il n’a jamais été question que l’un se substitue à l’autre. Le groupe OCP, à travers son projet de boucle électrique, cherche à transporter sa propre production d’énergie renouvelable pour répondre à ses propres besoins. Tandis que le projet d’autoroute électrique de l’ONEE, lui, est conçu pour alimenter le réseau national.

L’article de LeDesk prétend dévoiler un secret, estimant que «Le360 a accouru pour dire qu’OCP n’avait pas de velléités à se substituer à l’ONEE, sans savoir cependant qu’une option, encore dans les cartons, s’ajoutait à son plan initial de servir ses sites industriels en circuit fermé». Le média n’apporte aucun élément nouveau pour étayer cette option de «substitution». À moins que ce média ne confonde substitution et extension, en concluant à l’existence de trois lignes sur la table, incluant l’autoroute de l’ONEE, la boucle OCP-Engie et l’option d’extension de celle-ci jusqu’au Grand Sud.

«Non, le projet de boucle énergétique ne vise en aucun cas à se substituer aux infrastructures de l’ONEE. Il est conçu pour optimiser l’approvisionnement énergétique des sites industriels d’OCP, tels que ceux situés à Jorf Lasfar et à Safi. La future ligne de l’ONEE reste essentielle pour le développement énergétique global du pays, et notre initiative s’inscrit en complémentarité avec cette vision nationale», confirme encore cette source impliquée dans le partenariat OCP-Engie, contactée par Le360.

Et de préciser: «La boucle énergétique sera principalement alimentée par des projets d’énergie solaire et éolienne situés à proximité des sites industriels du groupe OCP (ndlr, principalement à Benguérir et Khouribga). Ces énergies seront intégrées à des systèmes de stockage (batteries voire même hydrogène) pour garantir la flexibilité et la stabilité nécessaires à une alimentation continue».

L’idée de relier la boucle OCP au Sahara n’a à aucun moment été évoquée dans les documents signés par le président du groupe OCP, Mostafa Terrab et Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, le 28 octobre dernier devant les deux chefs d’État. «Le projet actuel se concentre sur les sites industriels du groupe OCP. Une extension vers le Sud pourrait être envisagée dans une phase ultérieure, en fonction des opportunités de développement et des besoins énergétiques à remonter vers le Nord», explique notre interlocuteur.

«Le projet est avant tout conçu pour répondre aux besoins spécifiques du groupe OCP. Cependant, ajoute la même source, il pourrait y avoir des synergies ou des opportunités pour fournir de l’énergie à d’autres consommateurs, notamment dans une logique de mutualisation et de stabilisation du réseau local. Cela dépendra des discussions avec les autre parties prenantes, y compris l’ONEE».

Avant d’en arriver à l’option de l’extension, il est important de souligner que la plupart des experts marocains en réseaux électriques remettent en question la viabilité économique du projet de la boucle fermée, ainsi que sa traduction technique sur le terrain.

«Le facteur de charge ou le facteur d’utilisation d’une centrale solaire ne dépasse pas 25% dans le meilleur des cas. Les meilleurs sites au monde fonctionnent uniquement pendant la journée et ne sont donc pas en mesure de saturer une ligne électrique. Va-t-on alors interrompre le circuit durant la nuit? Les choses ne sont pas si simples», relativise cet expert en énergies renouvelables.

Et de préciser: «Quelques rares circuits autonomes existent, notamment en Arabie Saoudite et en Australie, mais leur concrétisation est limitée à des sites industriels énergivores, dans des zones excentrées, éloignés du réseau électrique. Cela coûte excessivement cher».

Cela nous amène à poser la question du choix du partenaire du groupe OCP pour la réalisation de la boucle fermée. Engie étant un développeur et non un gestionnaire de réseaux électriques, la question de la valeur ajoutée de l’énergéticien français mérite d’être posée. «Engie exploite déjà plus de 6.000 km de réseaux électriques à travers le monde, 7.500 km de mémoire en gestion de réseaux PPP (modèle vers lequel pourrait tendre l’ONEE...). Il a une solide expérience dans la mise en œuvre de projets complexes similaires à l’international», soutient notre source, impliquée dans le projet du groupe OCP. Elle illustre ses propos en citant le projet «Renewable Energy Hub» en Australie, combinant énergie solaire, éolienne et stockage pour des activités industrielles. C’est le cas également, dit-elle, de la solution de boucle fermée développée par Engie à Ras Laffan au Qatar, intégrant la production renouvelable et le dessalement pour des besoins industriels.

Enfin, il est important de rappeler que contrairement à la ligne de l’ONEE, qui a franchi un grand pas vers sa concrétisation (suite à l’ouverture des plis relatifs au schéma EPC), le projet de la boucle fermée OCP-Engie en est encore au stade des études de faisabilité. Aucune décision n’a encore été actée. «Le projet est actuellement en phase d’études avancées et de structuration. Les équipes d’OCP et d’Engie travaillent en étroite collaboration pour définir les paramètres techniques, financiers, et réglementaires nécessaires pour un lancement réussi», fait-on savoir du côté des promoteurs du projet.

Par Wadie El Mouden
Le 10/12/2024 à 08h01