L’agriculteur européen, variable d’ajustement de la guerre des engrais

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueSourds au niet de leurs agriculteurs, les États membres de l’UE viennent de valider une proposition de la Commission européenne instaurant des droits de douane sur les fertilisants importés de Russie.

Le 22/03/2025 à 11h00

En 2016, la Commission européenne proposait de nouvelles normes sur les fertilisants, poursuivant deux objectifs: encourager les États membres à la production d’engrais à grande échelle, en transformant les déchets en nutriments pour les cultures, et introduire des limites harmonisées de cadmium pour les engrais phosphatés. Elle déclenchait alors, au Parlement européen comme dans les États membres, une «bataille du taux de cadmium» dont les phosphates marocains et les agriculteurs européens allaient finir par être victimes.

Face à eux, une coalition hétéroclite, dont une alliance créée pour les besoins de la cause, par et pour les intérêts russes, et, réunis par de sincères préoccupations écologiques, la fine fleur des ONG environnementalistes, Greenpeace en tête. In fine, une position de compromis institutionnel avec un taux de cadmium maximal de 60 mg par kilogramme, ce qui, à cette époque, impactait de facto le phosphate chérifien.

Cette longue guerre normative -près de 24 mois- s’était soldée par une plus grande dépendance du marché européen à Moscou, et à des prix plus élevés. Tandis que la production d’engrais produits à partir de déchets valorisés est restée insuffisante pour réduire la dépendance aux importations.

Ironie de l’Histoire, la nouvelle réglementation européenne sur les fertilisants entre en vigueur en 2022. La même année, la Russie envahit l’Ukraine. Pour marquer leur soutien à Kiev et tenter d’affaiblir Moscou, mais aussi pour réduire leur dépendance économique et énergétique à l’égard de la Russie, la Commission et les États membres vont mettre en place, à un rythme effréné (16 trains de sanctions votées en 3 ans), des mesures économiques et individuelles contre l’État russe et les oligarques… qui vont d’abord pénaliser les Européens eux-mêmes. À commencer par les agriculteurs, lesquels paient dès le printemps 2022 un lourd tribut à l’effort de guerre, puisqu’ils sont les premières victimes d’une concurrence agricole ukrainienne déloyale, née des mesures de solidarité mises en place par Bruxelles: importation de poulets ukrainiens sans droits de douane, afflux de blé, de sucre et d’œufs faisant chuter les prix sur le marché européen...

«Lorsque Trump est élu, avec la promesse d’arracher la paix en Ukraine, les Européens s’affichent plus “va-t-en-guerre” que jamais. Et la Commission de traquer les derniers produits russes échappant aux sanctions…»

Dans le même temps, le prix des engrais flambe (hausse de 149% du prix des engrais azotés en septembre 2022 sur une base annuelle), en lien avec la hausse du prix de l’énergie, tandis que les importations d’engrais russes, qui avaient déjà̀ grimpé en 2023 (3,6 millions de tonnes, pour une valeur de 1,28 milliard d’euros, soit plus de 25% des importations totales de l’UE), progressent encore nettement en 2024 pour s’établir à 4,4 millions de tonnes, pour une valeur de 1,5 milliard d’euros, ce qui représente 30% des importations. Un business avec Moscou insupportable au tandem Von der Leyen/Kallas, lequel entame la mandature 2024/29 avec une feuille de route résolument russophobe.

Lorsque Donald Trump est élu l’hiver dernier, avec la promesse d’arracher la paix en Ukraine, les Européens s’affichent plus «va-t-en-guerre» que jamais. Et la Commission de traquer les derniers produits russes échappant aux sanctions… Des taxes imposées en 2024 visaient notamment les céréales, les oléagineux russes et leurs produits dérivés. Bruxelles va alors proposer des droits de douane sur les derniers 15% de produits agricoles importés qui n’étaient pas encore concernés par ce type de sanctions, pour que, finalement, l’ensemble des importations agricoles en provenance de Russie soit taxé. Les engrais et fertilisants azotés seront aussi frappés de taxes supplémentaires. Quoi qu’il en coûte!

Les syndicats agricoles ont bien tenté, ces deux derniers mois, de manifester leur inquiétude (ou leur opposition) face à des taxes qui, par tonne de fertilisant, pourraient passer progressivement de 40 ou 45 euros à 315 ou 430 euros en trois ans. En vain: le Conseil des 27 a approuvé ces droits de douane supplémentaires le 14 mars. Simultanément, le Parlement européen a été saisi et le texte est aujourd’hui dans de bonnes mains, celles d’une eurodéputée lettonne pour laquelle «cette proposition aurait dû être présentée il y a trois ans». Autant dire que le règlement pourra entrer en vigueur à l’été.

Au profit du Maroc qui, sur le marché européen des fournisseurs de phosphates, devance déjà la Russie.

Par Florence Kuntz
Le 22/03/2025 à 11h00

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