Depuis le début de la crise sanitaire, le Maroc a pu mobiliser plus de 4 milliards de dollars auprès des bailleurs de fonds internationaux afin de réduire la pression sur la balance des paiements (dont 3 milliards de dollars au titre de la Ligne de précaution et de liquidité auprès du FMI).
Le stock de devises dont dispose actuellement le Maroc correspond à l’équivalent de plus de 6 mois d’importations de biens et services. «Nous allons continuer à lever des financements sur le marché international. Si nous n’avons pas levé davantage, c’est parce que nous voulons le faire aux meilleures conditions. Les marchés internationaux veulent profiter du contexte actuel pour augmenter les primes de risque. Nous sommes vigilants et veillons à que les taux que nous payons soient le plus bas possible», explique Benchaâboun. Entre-temps, le Maroc a ouvert les négociations avec le FMI en vue de renouveler l’accord sur la LPL dès 2021.
Sur le plan macro-économique, en plus d’une perte de 1 milliard de dirhams de PIB par jour de confinement, le manque à gagner en recettes du Trésor se chiffre à 500 millions de dirhams par jour de confinement. On s’attend également à une baisse forte des recettes au titre de l’impôt sur les sociétés en 2021, du fait de la dégradation financière des entreprises en 2020.
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Les mesures prises par le Comité de veille économique ont permis d’atténuer l’impact du confinement sur les entreprises. Plus de 20.000 entreprises ont bénéficié du dispositif Damane Oxygène, pour un montant total de près de 12 milliards de dirhams (chiffre arrêté jeudi 28 mai).
Les déclarations fiscales ayant été décalées de fin mars à fin juin, le ministre des Finances estime qu’il n'y a aucune raison justifiant un nouveau report. En revanche, concernant le règlement des échéances fiscales, le ministre se dit disposé à ce que les dossiers soient traités au cas par cas, secteur par secteur ou branche par branche. Il s’est montré également ouvert à la possibilité de décaler les délais des mécanismes d’amnistie (avoirs détenus à l’étranger, cash) prévus initialement par la loi de Finances 2020.
Benchaâboun énumère au moins trois leçons à tirer des actions engagées par le Maroc depuis le début de la crise:
Un, le rôle central de l’Etat durant cette crise et le retour de confiance dans les institutions.
Deux, le poids important de l’informel dans l’économie et la fragilité structurelle de larges couches de la société. «Deux tiers de nos concitoyens travaillent en l’absence de filets sociaux», note Benchaâboun.
Trois, la rapidité de déploiement de plateformes digitales et surtout la célérité avec laquelle une grande partie de la population a pu les assimiler avec beaucoup d’aisance.
Interrogé sur la problématique de l’informel, Benchaâboun estime qu’il est nécessaire d'avoir une volonté politique et institutionnelle. «Il faut que ça soit un sujet de consensus national, pour lequel on se mobilise non pas pour punir, mais pour accompagner. Si on dit que deux tiers de Marocains n’ont aucun filet social (couverture maladie, retraite), il est nécessaire qu’on se retrouve dans un système dans lequel on mutualise des moyens», poursuit-il.
«L’expérience qui a été menée pendant ces deux derniers mois, avec cette différence de traitement entre ceux qui sont affiliés à la CNSS et sont qui ne le sont pas, a montré que l’Etat peut jouer un rôle important pour accompagner les familles en détresse», a-t-il ajouté.
Le ministre révèle que des propositions dans le sens d’une intégration accrue de l’informel seront insérées dans le projet de loi de Finances rectificative. «Ma conviction est que l’intégration de l’informel est un passage obligé si on veut une rupture positive à l’avenir. L’intégration au formel n’est pas une sanction de l’informel, mais plutôt la sanction des pratiques illicites», nuance le ministre.
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Le cumul de crédits garantis par l’Etat (Damane Oxygène et Damane Relance, etc.) pourrait déséquilibrer la situation financière des entreprises et aboutir à des problèmes de solvabilité. La problématique des fonds propres va être posée. Pour y remédier, le gouvernement prévoit de mettre en place des mécanismes pour accompagner les entreprises qui souhaitent renforcer leurs fonds propres (augmentation de capital) ou quasi-fonds propres (dette subordonnée). Des outils financiers seront prévus dans le projet de loi de Finances rectificative, indique Benchaâboun.
L’investissement public devra reposer sur des mécanismes de financement innovants: création de fonds dédiés, partenariat public privé, etc.). «Financer l’investissement public directement par le budget ou le Trésor ne peut pas tenir longtemps. Nous sommes obligés de faire preuve d’imagination. Le choix des investissements se fera en fonction de l’impact sur l’emploi, en particulier. La préférence nationale pèsera dans les choix dans les semaines et mois à venir», a ajouté le ministre.
L’une des nouveautés de la loi de Finances rectificative (en cours de préparation) est la création de fonds d’investissement dédiés (publics ou public-privé) qui agiront soit directement soit à travers des prises de participations. «Ces fonds seront ouverts aussi bien aux institutionnels marocains qu’aux investisseurs étrangers ou personnes qui souhaiteraient investir dans les sous-produits ou sous-fonds prévus par la loi de Finances rectificative», explique Benchaâboun.
L’argentier du Royaume appelle à profiter de la crise pour accélérer le rythme de conduite des réformes, plaidant pour des «ruptures positives fortes». L’une des actions fortes qui pourraient changer profondément la structure et la performance de notre économie est liée à la façon par laquelle la problématique de l’informel sera adressée. Ce secteur, dit-il, devrait être accompagné dans ses dimensions à la fois économique et sociale.
Autre chantier majeur, l’amélioration de la transparence et la simplification des procédures à travers la digitalisation des process. Le ministre annonce à ce titre la sortie imminente d’un projet de loi sur l’administration numérique. Il viendra compléter le dispositif existant, notamment la nouvelle loi sur le «choc de simplification des procédures», connue sous le nom «un silence de l’administration vaut accord».
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Interpellé sur l’opacité des procédures judiciaires accompagnant la reprise des entreprises en difficulté (procès de liquidation, de sauvegarde), Benchaâboun promet d’en parler avec le ministre de la Justice pour sensibiliser les juges et envisager de quelle manière ces procédures peuvent être simplifiées. «Il y va de l’intérêt de notre économie. Plus vite les sociétés sont reprises, plus vite elles vont pouvoir contribuer à la création de valeur», dixit le ministre. Ce dernier invite à recourir à la nouvelle procédure de réconciliation, introduite récemment dans le dispositif juridique marocain et grâce à laquelle le Maroc a pu améliorer son rang dans le classement Doing Business. «Une entreprise qui se trouve en cessation de paiement peut aller voir le juge et bloquer les créanciers en attendant de trouver un plan de continuité de l’activité. Cette procédure est plus simple que le redressement judiciaire. C’est la meilleure façon de reprendre les entreprises en difficulté», a affirmé le ministre.
Un «Pacte pour la croissance et l’emploi» sera signé entre l’Etat, les entreprises, le secteur bancaire et les partenaires sociaux. «L’Etat accompagnera les entreprises qui s’engagent définitivement dans la voie de la transparence, de la bonne gouvernance et de la conformité sociale et fiscale. Celles qui opèrent dans l’informel auront la possibilité d’apurer le passé et de se faire accompagner», ajoute le ministre.
Benchaâboun estime qu’il est nécessaire d’adapter l’économie marocaine au monde post-Covid, citant au moins quatre orientations qui semblent se dessiner et autour desquelles la crise du Coronavirus a créé un consensus:
Un, investir dans l’économie de l’Homme: la santé et l’éducation.
Deux, les opportunités qui s’ouvrent dans l’économie circulaire (énergie verte). «La décarbonisation de l’industrie sera de plus en plus un élément déterminant de la compétitivité. A l’inverse, les produits dont l’empreinte carbone est élevée seront pénalisés par des taxes, actuellement en cours de discussion, et qui seront bientôt mises en œuvre par la majorité des pays occidentaux».
Trois, l’économie numérique occupera une place encore plus prépondérante dans la création de valeur, notamment pour les jeunes.
Quatre, le Maroc doit saisir l’opportunité de changement de paradigme chez ses principaux partenaires, notamment européens, pour se positionner dans la nouvelle répartition de la chaîne de valeur mondiale.
«Après cette période d’hibernation économique, il faut se mettre debout, retrousser ses manches et retrouver les chemins du travail et de la création de valeur. Tout ce qui peut être fait par l’Etat le sera. Ensemble, nous devons créer une nouvelle page de l’économie marocaine», conclut l’argentier du Royaume.