Manque de visibilité, incertitudes, craintes… Les professionnels du tourisme sont à nouveau dans l’expectative. Après avoir encaissé le coup dur de la fermeture des frontières, un mois avant les fêtes de fin de l'année, ils entament 2022 dans la difficulté.
«Quand il n’y a pas d’avions, il n’y a pas de tourisme. C’est une évidence! Lorsqu’il n’y a aucune visibilité sur la réouverture des frontières, personne ne peut se projeter et envisager une reprise», s’insurge cet hôtelier de Marrakech qui, après 20 mois à vivre sous perfusion, envisage de fermer le dernier pavillon encore opérationnel de son établissement touristique.
82 milliards de recettes en moinsUn chiffre clé parmi la batterie des indicateurs macro-économiques du Royaume permet de mesurer l’ampleur des dégâts: 82 milliards de dirhams de recettes de voyages en moins sur les deux dernières années, si on prend comme référence les performances de 2019. Et encore ces estimations ne tiennent pas compte de l’élan de croissance que connaissait le secteur les années d’avant la crise.
© Copyright : Source: Office des changes
C’est que les recettes de voyages ont quasiment doublé sur les 15 dernières années avant de retrouver, sous l’effet de la crise sanitaire, leur niveau de 2004. «La cagnotte des recettes de voyages est actuellement à un niveau qui renvoie à une époque où le secteur comptait une poignée d’opérateurs et nourrissait de grandes ambitions. C’est en cette année 2004, par exemple, que les jalons de la première vision stratégique du secteur ont été posés», rappelle un vieux routier du secteur.
Entre-temps, la capacité hôtelière a été décuplée, des emplois ont été créés en centaines de milliers et tout un écosystème a fleuri, alors que le Royaume aspirait, à partir de 2011, à attirer une vingtaine de millions de visiteurs, sous l’impulsion de visions stratégiques, lancées par le roi Mohammed VI.
Un soutien insuffisantCette réduction de la cagnotte touristique est synonyme de manque à gagner pour de multiples activités liées à la chaîne de valeur de ce secteur, comme l’hôtellerie, la restauration, les transports, l’artisanat, les guides touristiques… Les ravages sociaux sont donc importants malgré le soutien en continu des pouvoirs publics.
Lire aussi : Vidéo. Chambre des représentants: la ministre du Tourisme n’a pas convaincu, contrairement à celui de l’Agriculture
C’est ainsi que pas plus tard qu’en décembre dernier, la ministre du Tourisme, Fatim-Zahra Ammor, s’est réunie avec les représentants de la Confédération nationale du tourisme (CNT) pour leur annoncer un nouveau plan de soutien.
Prolongement de l’indemnité forfaitaire de 2.000 dirhams aux salariés du secteur, révision des échéanciers pour le paiement des charges sociales, mise en place de nouveaux mécanismes bancaires… Autant de mesures annoncées pour ce plan d’urgence incluant désormais les restaurateurs touristiques.
«Un tel plan d’urgence est certes nécessaire, mais ne répond que partiellement aux doléances des opérateurs», commente une source proche de la CNT, qui avait soumis un mémorandum regroupant dix propositions d’ordre fiscal, financier et de gouvernance afin d’assurer la sauvegarde des entreprises et éviter la destruction massive des emplois.
La grogne des voyagistesD’ailleurs, les mesures décidées par le ministère ne donnent pas satisfaction à tous les professionnels. En début de semaine, quelque 700 adhérents de l’Association nationale des agences de voyages du Maroc (ANAVM) ont organisé un sit-in devant le siège du ministère du Tourisme. Leur but: faire part de leur situation alarmante et proposer un ensemble de mesures pour limiter les conséquences de la crise.
Lire aussi : Tourisme: le gouvernement n’écarte pas une troisième opération d'indemnités pour les salariés du secteur
«Aujourd’hui, après près de deux ans, nous ne trouvons pas d’oreille attentive, que ce soit de la part des autorités concernées ou des entreprises nationales qui n'ont pas contribué, même partiellement, à relever les dommages causés au secteur, à l'exception du soutien alloué par le Fonds spécial Covid accordé aux employés du secteur, sachant que les agences de voyages ont été les premières et les plus touchées, et seront les dernières à se relever», explique, dans un communiqué, l’association présidée par Khalid Meftah.
Des craintes pour 2022Ce manque de visibilité est ressenti par l’ensemble des professionnels. D’autant que 2022 démarre moins bien que l’année précédente, qui était censée déjà connaître une reprise des activités.
«L'année 2021 avait démarré avec de l'espoir et de l’optimisme mais se termine sur un goût amer», souligne Ismail Loubaris, directeur de ventes du groupe Accor. Supervisant plusieurs établissements dans plusieurs pays, il déplore cette perte de parts de marché du Maroc, au profit d'autres destinations, alors que le Royaume est paradoxalement cité en exemple en matière de bonne gestion de la crise sanitaire et de réussite de la campagne de vaccination.
L’année 2022 sera donc décisive pour la résilience du tourisme marocain, un secteur qui rapportait jusqu’à récemment des recettes en devises supérieures aux chiffres d’affaires de grandes filières exportatrices comme l’automobile ou les phosphates. Le soutien des pouvoirs publics, bien qu’il reste conséquent, ne pourra suffire à limiter la casse. Les opérateurs ont surtout besoin de visibilité au sujet de la réouverture des frontières.