Salutaire retour à l’économie réelle que nous offre ce rapport de la Banque mondiale (BM). Ces derniers mois, on a été habitué à voir traiter l’inflation à coups de chiffres, de taux plus ou moins élevés et de propos ésotériques sur la masse monétaire. Retour sur terre. L’inflation actuelle met le chef de famille pauvre en situation d’incapacité à subvenir aux besoins essentiels des siens, dont en premier lieu les besoins alimentaires. C’est connu, la conjonction de facteurs externes (guerre en Ukraine) et internes (sécheresse) a contribué à renchérir un grand nombre de produits, alimentaires et non alimentaires. Toutefois, les premiers ont connu une hausse plus importante, allant jusqu’à représenter 50% de la hausse globale. Cette situation contraint le consommateur à faible budget à réduire considérablement ses achats alimentaires en quantité, variété et qualité, aux dépens de ses besoins nutritionnels. À la sortie de la crise du Covid-19, le nombre de personnes dans cette situation était de 2.5 millions, avec l’inflation, ce chiffre a très probablement augmenté de manière significative, les moins pessimistes parlent de 3.8 millions. On savait que les familles pauvres au Maroc mangeaient déséquilibré auparavant, maintenant, avec l’inflation, ils mangent moins.
Les gens bien-pensants diront qu’il n’y a pas mort d’homme, qu’après l’atténuation de l’inflation, les plus pauvres mangeront à leur faim. Il y a des hics. L’inflation risque de durer plus longtemps que prévu, concomitamment à un faible taux de croissance, ce qui autorise la BM à rajouter une couche pour le futur, en assurant voir se profiler à l’horizon «une véritable crise d’insécurité alimentaire» dans notre région. L’autre point sombre est d’ordre sanitaire. Un déséquilibre nutritionnel, même de courte durée (quelques mois), a un impact sur la croissance des enfants, leur productivité physique et intellectuelle actuelle et future, y compris à l’âge adulte, sur la santé de la mère et celle du fœtus si elle est enceinte, et bien sûr, sur les capacités de travail d’un adulte.
Faut-il voir dans les deux sorties gouvernementales consacrées au secteur agricole cette semaine, l’une du Chef de gouvernement, invitant gentiment les producteurs agricoles à faire un effort pour baisser les prix, et l’autre du ministre de l’Agriculture, promettant un doublement, rien de moins, du PIB agricole à 250 MMDH, contre 126 MMDH actuellement, d’ici 2030, le prélude d’un changement stratégique de la politique agricole à moyen et long terme? Voire l’expression de la volonté de faire face à une situation nutritionnelle et sanitaire compliquée, qui est désormais du domaine public grâce à l’inflation et à la Banque Mondiale (cette dernière jouissant du statut d’unique lanceur d’alerte crédible auprès des pouvoirs publics)?
Arrêtons-nous sur la sortie du ministre de l’Agriculture, au vu de son contenu plus étoffé. La rareté de l’eau oblige à avantager les spéculations moins hydrovores, ce à quoi se résigne finalement le ministère, couplé à une action volontariste de gestion optimale des ressources hydriques. Sur le papier, cela semble faisable. Comme semble réalisable l’objectif de doubler le PIB agricole. Toutefois, cela ne répondra pas à la problématique de l’adaptation de la production agricole nationale aux besoins locaux en quantité, en prix et en timing. En fait, c’est de cela qu’il s’agit si on veut mettre la population à l’abri des aléas internationaux et tendre vers la souveraineté alimentaire. À moins qu’on ait fait l’arbitrage d’avantager les spéculations plus «riches», plus rentables, et accepter d’importer nos besoins (85 MQtx de céréales en 2022) au prix éventuellement fort, et élargir le spectre des subventions pour permettre aux plus démunis (identifiés) de se nourrir correctement.
La BM est favorable (à contrecœur probablement) à cette dernière option (transferts d’argent + transfert en nature + protection sociale et sanitaire) au vu de la gravité de la situation.
On remarque que plusieurs ministres du gouvernement placent leurs programmes à l’horizon 2030. Y a-t-il une communication à faire sur l’aide aux plus démunis dans cette perspective? On nous accordera que les aides de la protection sociale ne suffiront pas.
Tout gouvernement, politiquement, ne peut faire l’économie d’expliquer à l’opinion publique nationale comment il envisage d’aider et d’inclure la partie la plus précaire de nos compatriotes qui a été affectée dans sa santé et a perdu ses dents du fait de la sous-nutrition.