Le gouvernement a pris sur lui l’engagement de faire progresser l’investissement privé dans notre pays. Le ministre chargé du dossier, Mohcine Jazouli, a même avancé un objectif quantifiable: l’investissement annuel privé va égaler l’investissement public fin 2025, pour arriver à peser son double vers 2035. Le défi n’est pas mince. Les précédents gouvernements n’ont pas réussi, malgré de multiples efforts, à réaliser des avancées remarquables sur ce dossier.
Comment ce gouvernement compte-t-il s’y prendre pour mieux faire? La lecture des interventions faites par le Chef du gouvernement à Davos en Suisse et par la ministre des Finances à la Confédération générale des entreprises du Maroc CGEM) nous éclaire. Les deux discours s’inscrivent dans une même logique: les pouvoirs publics font le travail pour assurer les meilleures conditions d’accueil aux investisseurs que ce soit en matière de stabilité politique et sociale, de maintien des équilibres macro-économiques, d’assurance d’un cadre juridique et fiscal conforme aux normes internationales, d’adoption d’une nouvelle Charte de l’investissement, de disponibilité d’infrastructures modernes, d’aide à la formation, d’engagement de production de l’énergie propre, de mise en place d’un bon réseau de transport et logistique… A cela, il faut ajouter les réformes initiées par ce gouvernement visant à rendre la croissance plus inclusive socialement et territorialement et notre société plus juste.
Est-ce suffisant pour enclencher une nouvelle dynamique d’investissement?
Pour les pouvoirs publics, oui. Depuis toujours, ils considèrent que leur rôle doit se limiter à assurer le meilleur environnement possible à l’investissement. Pour le secteur privé, l’environnement favorable est un préalable nécessaire. Toutefois, il n’est pleinement efficace qu’à la condition d’être accompagné d’une politique économique de soutien à l’investissement. L’Etat devrait faire plus. Nous nous trouvons en présence de deux logiques qui acceptent l’interventionnisme étatique mais peinent à s’accorder sur son périmètre, aux dépens de la croissance.
La logique de l’entreprise subordonne l’acte d’investir à quatre déterminants successifs: la demande, le coût de facteurs, le financement et la rentabilité. La demande actuelle et à venir est le déterminant majeur. C’est ce qui déclenche l’intérêt de l’investisseur. A quoi bon produire en l'absence d’un marché. Ce n’est qu’une fois que la demande anticipée est établie que l’on calcule la profitabilité de l’investissement et que les incitations octroyées par l’Etat entrent en ligne de compte. Plus la demande (somme des biens et services de consommation + biens d’investissement+ les exportations) dans un pays est importante, plus les investissements le sont aussi. A condition que la demande supplémentaire ne soit pas comblée par les importations. Les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments de politique économique pour augmenter la demande destinée aux entreprises locales: accorder la préférence nationale dans les investissements publics quand c’est possible, politique de substitution aux importations, encourager les exportations, augmenter les revenus de ménages/consommateurs grâce à une politique active de redistribution. En engageant le gouvernement sur un objectif haut d’investissement pour 2025, rappelés ci-dessus, le ministre Jazouli n’a pas précisé quel levier d’intervention il souhaitait avantager et s’est abstenu d'avancer des chiffres. Ce qui aurait contribué à une meilleure visibilité, tenant pour acquis que la Charte de l’Investissement et ses très attendus décrets d’application ne suffiront pas à créer la demande. A moins que le même ministre ne soit partisan de la doctrine des économistes de l’offre qui véhicule l’idée que l’offre est le déterminant de l’investissement et non la demande.
Retour à Davos. On en sait davantage sur les déterminants de l’investissement étranger. Si le volume de la demande du pays d’installation est pris en considération, il demeure non déterminant, dans la majorité des cas. Augmentant de ce fait l’importance accordée aux autres facteurs. Et les autres facteurs trahissent de nouvelles priorités.
La guerre en Ukraine a introduit des bouleversements dans l’ordre international, elle a entrainé l’abandon de la mondialisation, au grand dam de la Chine, et l’apparition de blocs régionaux «renfermés».
Le bloc européen auquel nous demeurons attachés économiquement a identifié et validé ses objectifs jusqu’à 2050. Il a opté pour un modèle économique décarboné et une relocalisation massive de ses activités industrielles. Aussi nous sommes prévenus, le maintien du niveau de nos échanges, voire leur amélioration, est tributaire de notre capacité à mettre en place le même modèle économique décarboné, augmenter notre niveau d’industrialisation pour le porter à 25% du PIB au lieu de 15% actuel et améliorer l’attractivité de nos territoires. Voilà, cela a le mérite de la clarté.
Avant de clore cette question, il n’est pas inutile de rappeler d’autres dimensions que le monde de l’entreprise répugne à évoquer ouvertement, à savoir que la réussite d’une politique d’investissement, si elle demeure liée à l’augmentation de la demande, la qualité des structures d’accueil et les mesures incitatives, ne doit pas négliger d’autres facteurs plus politiques. Il ne faut point minorer: des rapports confiants et de qualité entre l’exécutif et le monde l’entreprise, l’importance de la stabilité juridique et fiscale, et enfin le professionnalisme dans la communication du gouvernement.
Un fait qui en dit long sur notre manque de vigilance en matière de communication politique. Le choix fait par la ministre des Finances de s’adresser aux représentants du secteur privé sur le sujet de l’investissement, le jour même de l’intervention du Chef du gouvernement à Davos, n’a pas été très heureux. Alors que ce dernier présentait les meilleurs atouts distinctifs et attrayants du Maroc aux plus grands investisseurs étrangers réunis en Suisse, dans un autre endroit, au siège de la CGEM, à Casablanca, la ministre des Finances s’employait à convaincre, sans grand succès d’après nos sources, le secteur privé national, censé l’être déjà, d’investir avec plus «d’enthousiasme» dans son pays. Ce qui n’a pas été du bel effet sur notre image à l’extérieur.