Le Maroc aspire, plus que jamais, à voir son économie prendre place parmi les «économies émergentes». Avec une croissance annuelle régulière de 7%, son revenu par tête peut dépasser les 6.000 dollars américains en 2030, il est actuellement inférieur à 4.000. Ce nouveau palier permettrait de libérer de nouvelles énergies et d’enchainer une série de changements qualitatifs impactant positivement les structures économiques et sociales du pays.
Comment y arriver?
D’abord un constat. Le modèle de croissance basé sur l’incidence positive du stock d’équipement en infrastructures, constitué au fil des années par les importants investissements publics sur les investissements productifs privés, n’a pas obtenu les résultats escomptés. Avec un taux effectif moyen de 3% ces dernières années, il n’a pas pu enclencher une forte dynamique de croissance, confortant la conviction que celle-ci ne peut être l’œuvre que d’un secteur productif porté par l’investissement privé. Les chiffres des autres économies émergentes en témoignent, où le secteur productif constitue 25 à 30% du PIB, alors qu’au Maroc il atteint péniblement les 15%.
La recommandation émise par la Commission pour un Nouveau Modèle de Développement de laisser le secteur privé prendre le leadership de l’investissement à la place du secteur public confirme ce qui tombait chez la plupart sous le sens: le Maroc ne peut faire l’économie de l’industrialisation. La notion d’industrialisation est plus large que l’édification de secteurs industriels, tout en englobant les secteurs, et elle va bien au-delà, avec le souci de valoriser tous les biens qui sont susceptibles de l’être sur l’ensemble des territoires du pays.
L’industrialisation, voie royale vers un développement rapide de l’investissement privé, comme tout chantier structurant d’envergure, exige un double travail: des interventions étatiques de qualité et un secteur privé capable de se mouvoir de manière autonome.
Principal investisseur et acteur économique, l’Etat souhaite désormais que le secteur privé marque sa présence de manière plus significative. Les raisons sont multiples: quoi de plus normal que dans une économie non dirigiste, et c’est notre cas, l’industrialisation soit in fine du ressort du secteur privé; le souhait de l’Etat de prendre en charge la répartition des revenus de manière plus active à travers «l’Etat social» aura pour corollaire l’élargissement de l’assiette de l’impôt et imposera aux pouvoirs publics une distanciation à l’égard des classes aisées.
Cela ne veut aucunement dire un désengagement de l’Etat, d’après notre lecture, mais une amélioration de la qualité des missions précédemment exercées et le souci de se donner les moyens de réussir dans les nouvelles. Ainsi l’Etat, tout en garantissant la stabilité politique, juridique et sociale, condition essentielle pour l’investissement privé, continuera à travers ses investissements à accroitre le stock d’équipements en infrastructures qui a des retombées positives sur les autres investissements; maintiendra les équilibres macro-économiques; donnera plus de lisibilité aux politiques sectorielles et aux souverainetés; veillera à la mise en œuvre de la Charte de l’investissement et ses divers décrets d’application concernant les investissements dans les secteurs et dans les territoires; l’administration des territoires œuvrera de concert avec les élus à faire avancer la régionalisation. Bref, l’Etat fera de mieux en mieux son travail.
Du côté du secteur privé, force est de constater que l’investissement privé peine à prendre son envol. Les causes sont-elles à chercher du côté de l’entreprise ou de son environnement? Avant d’avancer quelques explications et de scruter quelques pistes de développement, rappelons certaines évidences: l’acte d’investir est d’abord une décision souveraine de l’entrepreneur. Acte qui obéit essentiellement à quatre déterminants: l’existence d’une demande, les coûts des facteurs, le financement et la rentabilité. Ce n’est que par la suite que l’environnement macro-économique de l’entreprise rentre en ligne de compte (cf. supra). Le débat sur le manque de dynamisme de l’investissement privé n’est pas nouveau. Rappelons quatre raisons qui sortent du lot. La première d’ordre général et culturel: l’incapacité des acteurs à intégrer/accepter pleinement la rationalité moderne qui considère le résultat comme fruit «uniquement» de travail et de maîtrise technique; les trois autres sont à caractère plus économique: la faiblesse de la demande locale, le rôle hégémonique de l’Etat dans le champ économique et l’incapacité à saisir les opportunités offertes par les territoires. Des réponses appropriées à ces quatre problématiques contribueront à débloquer la situation. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Dans la compétition régionale et mondiale, les places de choix sont comptées. Le Maroc, pays à l’histoire millénaire, peut légitimement prétendre au meilleur. Il en a le potentiel. Le secteur privé se doit de contribuer à ce challenge en faisant montre d’initiative, d’autonomie dans ses dimensions multiples, d’audace. Les temps s’y prêtent. Ses divers organes de représentation doivent l’aider à prendre de la hauteur.