Oignons: coûts en hausse, rentabilité en baisse, quand les producteurs voient leurs marges s’effondrer

Un camion chargé d'oignons à El Hajeb, l'un des principaux bassins de production de ce légume au Maroc, où les agriculteurs font face à des prix de vente insuffisants pour couvrir les coûts de production, malgré une récolte abondante. (Y.Jaoual/Le360)

Le 15/09/2024 à 14h49

VidéoLes producteurs d’oignons font face à une hausse des coûts de revient, en particulier celui de la main-d’œuvre et de l’énergie, exacerbée par une rude concurrence étrangère. Éclairage.

Face à une flambée des coûts de production, provoquée par la hausse des prix de l’énergie et par des difficultés d’irrigation, combinée à une concurrence internationale féroce, les producteurs d’oignons voient leur rentabilité sérieusement menacée.

Contacté par Le360, Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER), s’est dit inquiet quant à l’augmentation des coûts de revient des oignons. Selon lui, «bien que les subventions sur les semences et les engrais azotés aient partiellement atténué cette hausse, les dépenses restent prohibitivement élevées».

«Certaines dépenses sont incompressibles, comme le coût de la main-d’œuvre qui a fortement augmenté au Maroc, surpassant de loin celui des concurrents étrangers. La masse salariale est désormais plus de trois fois supérieure à celle de l’Égypte, un marché devenu rival pour les producteurs marocains. Cette hausse est aggravée par l’augmentation des coûts énergétiques, notamment le prix du butane, ce qui impacte directement les dépenses des agriculteurs», détaille-t-il.

L’irrigation constitue un autre défi majeur. «Autrefois, nous dépendions principalement de l’eau de pluie, avec un complément d’irrigation. A El Hajeb par exemple, la pluviométrie annuelle était comprise entre 450 et 600 mm, ce qui couvrait une bonne partie des besoins en eau. Actuellement, en l’absence de précipitations, nous sommes contraints d’irriguer en permanence, ce qui augmente les coûts de production. Dans toutes les zones de culture de l’oignon, l’irrigation se fait essentiellement par pompage. Alors qu’auparavant, nous extrayions l’eau à 30 mètres de profondeur, nous sommes maintenant contraints de puiser à 60, 80 voire 100 mètres. Cette nécessité a pratiquement triplé les coûts dans de nombreuses zones», fait observer le président de la COMADER.

Des coûts doublés, des ventes à perte

Mohamed Hrimech, agriculteur à El Hajeb, principal bassin de production de l’oignon au Maroc, résume la situation: «Le coût de production des oignons a plus que doublé, tandis que les ventes, sortie exploitation, se situent entre 0,70 et 1 dirham le kilogramme. En conséquence, et malgré une production abondante, les agriculteurs se retrouvent contraints de vendre leurs oignons à des prix nettement inférieurs aux dépenses engagées, rendant leur situation financière insoutenable.»

Le marché pose également problème. «Malgré l’ouverture récente des exportations, les volumes exportés restent faibles. Les producteurs espéraient une demande internationale soutenue, mais l’Égypte, désormais acteur majeur, a capté une grande partie du marché africain avec des prix nettement inférieurs. Cette concurrence accrue a fragilisé les exportations marocaines, laissant les agriculteurs avec des stocks invendus et des prix de vente locaux déclinants», explique davantage Rachid Benali.

S’ajoutent à cela les pertes post-récolte qui représentent une part importante des défis rencontrés par les producteurs. «L’absence de systèmes de conservation adéquats est pénalisante. Certes, nous pouvons conserver les oignons dans des réfrigérateurs classiques, mais cela entraîne des pertes. Le stockage dans des séchoirs traditionnels occasionne également des pertes de 30 à 40%. Il faudrait des réfrigérateurs spécialisés, mais ils n’existent pas au Maroc, ou très peu - à ma connaissance, seulement deux ou trois unités. Le stockage est donc difficile et coûteux, sans garantie de vendre à un prix intéressant par la suite», précise-t-il.

À l’abondance de la production s’ajoute la consommation qui ne suit pas, dans la mesure où le prix au détail reste élevé. «Actuellement, certains agriculteurs se voient proposer 0,70 dirham, même pas un dirham, pour leurs oignons. Malheureusement, cette baisse des prix ne s’est pas répercutée sur le prix au détail, qui peut atteindre 6 dirhams», déplore le président de la COMADER.

La chaîne de distribution est dominée par les intermédiaires et les détaillants qui augmentent leurs marges, rendant le prix final au détail prohibitif pour les consommateurs. «Cette concentration du marché entraîne une hausse significative des prix au détail. Cette situation injuste crée un déséquilibre économique au détriment des producteurs qui ne reçoivent pas la part de bénéfices générés par leur travail acharné, si l’on compte les 200 dirhams octroyés au quotidien à notre staff et les quelque 60.000 dirhams investis», regrette Soufiane Ghannaoui, agriculteur opérant au Hajeb.

Face à une conjoncture économique défavorable et à une concurrence internationale accrue, les producteurs d’oignons marocains se trouvent donc à la croisée des chemins. «Pour assurer la survie et la rentabilité de cette filière, des mesures urgentes et concertées sont nécessaires, portant sur l’amélioration des infrastructures de stockage et le soutien accru aux coûts de production», plaide cet opérateur.

Par Youssra Jaoual et Hajar Kharroubi
Le 15/09/2024 à 14h49