3lamantlaqaw (en attendant de nous retrouver), est le nom donné à la nouvelle campagne publicitaire de l’Office national marocain du tourisme (ONMT). «En attendant de nous retrouver, on peut vous faire rêver, vous donner envie de goûter nos spécialités», voilà un échantillon de messages véhiculés pour inciter les Marocains à privilégier le réflexe «choose Morocco» et à encourager le tourisme domestique.
Au-delà de la qualité artistique qui laisse à désirer, ou encore les modalités exceptionnelles, mais tolérées en temps de crise, ayant marqué la passation du marché, la campagne de l’ONMT est empreinte d’amateurisme et ne concourt pas à convaincre sur la capacité de cet organisme à faire face à la gestion d’une crise dévastatrice pour le secteur du tourisme
En effet, selon les prévisions de la Confédération nationale du tourisme, ce sont au total plus de 34 milliards de dirhams qui pourraient manquer si la crise devait durer jusqu’à fin 2020. Pas moins de 500.000 personnes (plus de 8.500 entreprises) sont actuellement en arrêt de travail, toutes activités touristiques confondues: hôtels, transport touristique, restauration, location de voitures, agences de voyages, maisons d'hôtes.
«Diffuser des spots publicitaires en prime time sur les chaînes nationales peut améliorer la force de frappe commerciale du tourisme national. Encore faut-il trouver les moyens pour booster la demande domestique à la sortie du confinement», souligne ce voyagiste basé à Casablanca.
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Les dirigeants de l’ONMT ne sont pas censés ignorer que l’économie marocaine traverse une crise sans précédent avec à la clé une croissance négative en 2020. Plus de 800.000 salariés du secteur privé ont été contraints au chômage, principalement parmi la classe moyenne qui, en temps normal, aime voyager. Ajouter à cela, le fait qu’en période de crise, les ménages ont tendance à accroître leur effort d’épargne au détriment des dépenses de loisirs.
L’ONMT ainsi que le ministère de tutelle doivent faire preuve de créativité et d’innovation pour relancer la machine et booster le tourisme intérieur (en attendant la reprise des vols internationaux). Sur les 25 millions de nuitées enregistrées au Maroc en 2019, pas moins de 28% reviennent aux touristes marocains (hors MRE). Il est possible aussi d’exploiter le gisement des Marocains qui ont l’habitude de passer leurs vacances à l’étranger et qui pourraient, en réorientant leurs choix vers des destinations domestiques, économiser à la balance des paiements l’équivalent en devises de 19 milliards de dirhams (dépenses «voyages» à l’étranger).
Bouhout Zoubir, directeur du Conseil provincial du tourisme de Ouarzazate, invite à s’inspirer des mécanismes de soutien adoptés sous d’autres cieux. Il donne l’exemple de la France où les régions ont joué le jeu en mettant la main à la poche pour aider les professionnels vivant de ce secteur complètement sinistré.
En effet, la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur a distribué des chéquiers vacances d’une valeur de 500 euros, au profit des salariés du secteur privé domiciliés dans la région, à savoir ceux qui ont travaillé au contact direct du public durant la période de confinement: livreurs, caissiers, employés de commerce, etc.
Pour financer ce dispositif, Bouhoute plaide pour la création d’un Fonds régional de soutien des consommateurs, financé par les contributions du fonds Covid-19, des régions et de l’ONMT. Cet office a dû économiser des dizaines de millions de dirhams de dépenses suite à l’annulation des salons et évènements prévus dans le budget 2020.
On peut citer également l’initiative de 59 députés français qui, dans une tribune, ont appelé les Français à rester en France. «Les vacances d’été et les suivantes seront primordiales pour les professionnels… On ne peut pas compter sur l’afflux massif de touristes étrangers, eux aussi confrontés à la crise sanitaire dans leur pays. L’heure est au tourisme de proximité et au tourisme responsable. Alors, dès cet été et pour les prochaines vacances, restons solidaires, partons en France!», peut-on lire dans ladite tribune.
La mission de l’ONMT ne se limite pas à produire des spots publicitaires, sans intérêt et décalés de la réalité. L’art de communiquer commence par l’écoute. La crise implique un effort accru d’écoute sur le terrain, en multipliant les rencontres avec les intervenants de la chaîne de valeurs touristiques. L’enjeu est de trouver le moyen de les inciter à proposer des formules promotionnelles innovantes, suffisamment attrayantes pour réconcilier les Marocains avec le tourisme domestique. Il y va du sauvetage d’un secteur sinistré et des centaines de milliers d’emplois qui en dépendent.