Les prix de l’or s’emballent sur le marché local. Déjà en hausse ces derniers temps, sous l’effet de la montée du cours international du métal jaune, ces prix ont récemment connu un bond anormal, perturbant le bon fonctionnement du marché.
Interrogés par Le360, des professionnels du secteur de l’or au Maroc affirment que cette récente flambée des prix n’a rien à voir avec l’évolution du marché international. Ils l’attribuent plutôt à un mouvement de spéculation, alimenté par des rumeurs ayant circulé, notamment sur les réseaux sociaux.
Ces rumeurs, explique Driss El Hazzaz, président de la Fédération marocaine des bijoutiers, avancent que le prix de l’or devrait atteindre 1.000 dirhams le gramme avant la fin de 2024. Cela a entraîné une forte hausse de la demande, tant de la part des particuliers que des professionnels, cherchant à anticiper cette supposée augmentation des prix.
Ce que les vendeurs de matière première ont perçu comme une opportunité à ne pas manquer. Ils ont en effet procédé à des augmentations significatives de leurs prix, de manière totalement injustifiée, selon les bijoutiers. «La matière première a augmenté de 80 à 90 dirhams le gramme», nous a déclaré Mokhtar Kerroumi, président de l’Association des bijoutiers artisans de la région Casablanca-Settat. Cela a propulsé les prix à des sommets en très peu de temps, selon les professionnels.
«Nous avons atteint des niveaux où la matière première 18 carats s’échange à plus de 760 dirhams le gramme, alors que le cours international avoisine les 620 dirhams. Il y a donc une différence de près de 140 dirhams par gramme par rapport au marché international, ce qui est totalement anormal», déplore Mokhtar Kerroumi.
«Un tel écart avec le cours mondial, c’est du jamais-vu», martèle Anouar Aït Mansour, bijoutier, pointant également du doigt les spéculateurs.
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Certes, les bijoutiers disposent d’autres sources de matière première, mais ces vendeurs, qui importent des lingots d’or, restent leurs principaux fournisseurs dont ils ne peuvent se passer, selon les professionnels.
Ainsi, indique Driss El Hazzaz, le recyclage des bijoux anciens ne satisfait la demande qu’à hauteur de 15% à 20%, et le recours à l’importation fait face à des restrictions. En effet, les expéditeurs de cette matière première ne peuvent envoyer plus de 30% de sa valeur, avec une limite fixée à 18.000 dollars.
Or, souligne-t-il, les sociétés étrangères agréées par la Douane exigent un paiement intégral, en avançant que le prix de l’or est très volatil et que leurs marges sont faibles, ce qui nécessite une dérogation de l’Office des changes.
Les clients inhibés par les prix
Quant aux opérateurs miniers marocains, poursuit le président de la Fédération marocaine des bijoutiers, ils exportent la totalité de leur production en raison des avantages fiscaux dont ils bénéficient. En effet, explique-t-il, ils ne sont imposés qu’à 17,6% contre 30% s’ils écoulaient leur production sur le marché national. D’ailleurs, précise-t-il, il s’agit de produits semi-finis non raffinés.
Les répercussions de cette flambée des prix se font rapidement sentir dans le quotidien des bijoutiers, qui se plaignent de l’érosion de leurs marges. Ces hausses ont également un impact direct sur les consommateurs. Avec des prix de vente de bijoux en or démarrant à 770 dirhams le gramme, et pouvant atteindre 1.000 dirhams selon le produit final, les acheteurs hésitent de plus en plus à franchir le pas.
Omar Sadouq, bijoutier à Casablanca, témoigne d’une baisse significative de la fréquentation dans sa boutique: «La hausse des prix a entraîné une véritable baisse de l’affluence. Les clients, déjà affectés par la conjoncture économique actuelle, ne peuvent plus se permettre de dépenser autant.»
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Cette situation est particulièrement préoccupante pour les bijoutiers, qui se retrouvent pris en étau entre des coûts d’approvisionnement de plus en plus élevés et des consommateurs de moins en moins enclins à acheter à des prix aussi exorbitants. Leurs marges, déjà minces, continuent de se réduire, menaçant la survie de nombreuses entreprises du secteur. D’après Driss El Hazzaz, plus de 285 artisans opérant sur le marché de l’or ont été contraints de fermer leurs portes.
Faciliter l’importation pour juguler la spéculation
Face à cette flambée incontrôlée des prix, les bijoutiers ont boycotté les fournisseurs locaux pendant une semaine, ce qui a commencé à porter ses fruits, selon eux. «Les prix commencent à se stabiliser, ils ont baissé de 70 dirhams après le boycott de l’achat de la matière brute», explique Mokhtar Kerroumi. Ce boycott, lancé par de nombreux bijoutiers à travers le pays, avait pour objectif de freiner la demande et de forcer les spéculateurs à revoir leurs tarifs à la baisse.
Cependant, cette action, bien que temporairement efficace, ne suffira pas à résoudre le problème de fond. Les bijoutiers réclament désormais des mesures plus durables, notamment en facilitant l’importation de la matière première.
«Nous demandons la facilitation des opérations d’importation pour contrer cette hausse des prix de la matière brute», propose Mokhtar Kerroumi. Cette mesure permettrait d’augmenter l’offre sur le marché, rendant la spéculation moins influente et redonnant aux professionnels un certain contrôle sur les prix.