À l’approche du nouvel an, le Maroc réaffirme ce qui fait sa particularité, si rare et précieuse. Chaque année, à la même période, fleuristes, grandes surfaces, pépinières mettent en avant leur produit star: le sapin. Dans les étalages des boulangers, les bûches de Noël rivalisent de créativité et de gourmandise. Dans les devantures des magasins des malls, et dans les hôtels, les sapins parés de leurs décorations s’élèvent, majestueux. Sur les grands boulevards, les illuminations s’apprêtent à éclairer les nuits de fin d’année et à apporter un peu de magie au cœur de la cité.
Le Maroc qui se pare des couleurs de Noël? Nombreux sont ceux à le découvrir, et à s’en offusquer, à en croire les polémiques que la chose suscite sur les réseaux sociaux. Comment se fait-il qu’un pays musulman fasse l’étalage de croyances qui ne sont pas les siennes? Une entorse à l’islam, éructent les uns. Une occidentalisation galopante des mœurs, s’insurgent les autres, reprenant cette formule toute faite devenue à la mode depuis quelques années.
À en croire ces grands défenseurs du panarabisme et de l’islam, il conviendrait de fermer la porte à ce genre de comportements qui irait à l’encontre de notre culture, de nos valeurs, de notre identité. Car en agissant de la sorte, nous serions en train de pervertir nos enfants, d’introduire un virus dans la matrice. Et pourquoi d’ailleurs fêter le nouvel an grégorien alors que ces méchants occidentaux ne célèbrent pas, eux, le nouvel an de l’hégire? Et pourquoi tolérer des arbres de Noël alors que dans certains pays occidentaux, on refuse l’abatage rituel de l’Aïd El Kebir? Il faudrait donc calquer notre comportement sur le leur, en rendant coup pour coup, interdiction pour interdiction, car sinon, cela reviendrait à tendre l’autre joue.
Ce qui est assez improbable tant cela relève d’une contradiction totale, c’est que ces mêmes pourfendeurs d’un islam qui ne souffrirait aucune cohabitation avec les autres en terre dite musulmane, applaudissent à tout rompre la ville de Londres quand elle se pare de lumières pour le mois de Ramadan et accueille au sein de ses prestigieuses institutions des ftours collectifs. C’est avec la même ferveur qu’on acclame la ville de New York quand, chaque soir du mois de Ramadan, elle autorise les fidèles à se réunir sur Times Square pour y prier.
Autrement dit, on attend des autres qu’ils s’ouvrent à nous, à notre religion et nos rites, mais sans accepter la réciproque? N’en déplaise à ces personnes qui voient dans ces célébrations une perversion du Maroc, notre culture est ainsi faite: plurielle, multiple, ouverte sur les autres, profondément ancrée dans le respect des croyances des uns et des autres.
Ce discours-là, réfractaire à l’ouverture, est devenu une petite litanie agaçante que l’on entend revenir à plusieurs moments de l’année au Maroc. C’est le cas lors de la célébration de Yennayer, le nouvel an amazigh, car certains refusent à ce pays son identité amazighe et persistent à l’identifier comme un pays arabe, et seulement arabe.
C’est particulièrement le cas lors de la célébration de Bilmawen que ses nouveaux détracteurs, qui font la découverte de rites anciens profondément ancrés dans notre culture, qualifient de fête satanique.
C’est aussi le cas lors de la célébration des fêtes juives de Pessah, de la Mimouna –cette exception marocaine– ou encore du shabbat, car ces mêmes gens n’ont toujours pas assimilé qu’on peut être Marocain et juif et que ces moments de fêtes sont vécus bien souvent ensemble, entre musulmans et juifs, tous marocains, et unis dans leur foi sous un même drapeau.
Cette pluralité est l’une des plus grandes richesses du Maroc, ce pays où coexistent en paix différentes religions et cultes, incarnés par autant de mosquées, de synagogues et d’églises. Elle est la preuve que quand on a vraiment la foi, les croyances des autres ne nous dérangent pas. En les acceptant, en les célébrant à notre tour, c’est un message de tolérance rare que nous transmettons au monde. En cette époque obscure marquée au fer rouge par la haine de ce qui est différent, quel plus beau message pour célébrer, tous ensemble, la nouvelle année.