Le caftan Ntaâ serait donc algérien?

Zineb Ibnouzahir.

Zineb Ibnouzahir.. Le360

ChroniqueOn ne copie que ceux à qui on veut ressembler, convenons-en; et de la même manière, on convoite ce qui ne nous appartient pas pour mieux briller. Raison pour laquelle les Marocains ne tentent pas de s’approprier le karakou ou l’omelette-frites.

Le 08/12/2024 à 13h32

Cette semaine, au Paraguay, à l’occasion de la 19ème Commission intergouvernementale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, l’Algérie a vu sa candidature pour l’inscription du «costume féminin de cérémonie dans le Grand Est de l’Algérie» être acceptée. Enfin une petite victoire pour ce pays qui cumule les revers et les fiascos, et on a presque envie de leur dire bravo et de les gratifier d’une petite tape dans le dos. On pourrait se laisser aller à ce petit geste amical n’était-ce cette fâcheuse manie de notre voisin qui consiste à vouloir, de façon obsessionnelle et maladive, faire feu de tout bois pour rendre le Maroc responsable de tous ses maux.

Dans le cas présent, cette victoire, que personne ne lui conteste d’ailleurs, concerne plus précisément l’inscription des savoir-faire associés à la confection et à la parure de la gandoura et de la melehfa. C’était d’ailleurs l’intitulé exact de la candidature du pays, qui n’a toutefois pas résisté à la tentative d’un tour de passe-passe. Ainsi, dans le dossier de candidature, axé donc autour de la gandoura et de la melehfa, s’est glissée une photo d’un caftan Ntaâ. Pour les connaisseurs, il s’agit d’un caftan en velours de soie, brodé au fil d’or de motifs floraux, avec pour élément de broderie principale la figure du paon, qui habille le bas de la tenue. C’est, depuis plusieurs siècles, alors que l’Algérie n’existait pas encore, un caftan typique de la ville de Fès. La chose est suffisamment documentée pour ne pas pouvoir être contestée. Mais impossible n’est pas algérien.

Ainsi donc, ce caftan s’est-il retrouvé associé à un patrimoine vestimentaire avec lequel il n’a rien à voir, témoignant au mieux d’un acte de sournoiserie assez infantile, au pire d’une méconnaissance totale de cet habit qui, s’il avait été considéré à sa juste valeur, aurait dû faire l’objet d’un dossier de candidature à lui seul, tant il surpasse, et de loin, la confection de la gandoura et de la melehfa.

Mais nous ne sommes plus à une approximation près, car dès lors qu’on verse impunément dans l’appropriation culturelle, pour ne pas dire le pillage, on se «contrefout» des faits historiques. En guise de «victoire», l’Algérie a donc réussi à glisser dans son dossier une photo d’un caftan, dont l’art n’est même pas maîtrisé par ses artisans, et tenté de clamer de fait la reconnaissance de «l’algérianité» (même le correcteur d’orthographe ne reconnaît pas ce mot) du caftan Ntaâ. La démarche est tellement ridicule qu’on ne parvient pas encore à bien l’assimiler.

«Le caftan Ntaâ serait donc algérien? Reste à le prouver autrement que par une photo, car jusqu’à présent, un cliché ne témoigne pas d’un savoir-faire.»

Plutôt que de célébrer un fait qui n’a pas lieu d’être, l’Algérie nouvelle devrait davantage s’intéresser au fait que l’UNESCO ne mentionne à aucun moment le mot «caftan» dans la présentation faite de la candidature algérienne, se contentant de se focaliser sur la gandoura et la melehfa,«des tenues traditionnelles portées par les femmes dans le Grand Est de l’Algérie à l’occasion de fêtes telles que les mariages, les cérémonies et les festivités nationales et religieuses».

Le caftan Ntaâ serait donc algérien? Reste à le prouver autrement que par une photo, car jusqu’à présent, un cliché ne témoigne pas d’un savoir-faire. Pendant de très nombreuses années, les Algériennes ont été de très fidèles clientes des stylistes marocain(e)s, phénomène qui s’est arrêté -et c’est tant mieux- depuis la rupture entre les deux pays. Mais pourquoi commander en quantités aussi importantes des caftans marocains si l’Algérie possédait le savoir-faire de ce vêtement? On a aujourd’hui la réponse: «C’est pour mieux vous copier, mon enfant», dirait le grand méchant loup. Bon, en même temps, on ne copie que ceux à qui on veut ressembler, convenons-en, et de la même manière, on convoite ce qui ne nous appartient pas pour mieux briller. Raison pour laquelle les Marocains ne tentent pas de s’approprier le karakou ou l’omelette-frites.

Comment se défendre contre ça? Certes, le label marocain qui sera apposé sur notre patrimoine vestimentaire est un premier pas, s’en suivra la très attendue inscription du caftan au patrimoine immatériel de l’humanité à l’UNESCO, mais cela n’enraiera pas le processus. Car à quoi s’attendre d’un pays qui a été jusqu’à produire une contrefaçon d’un maillot de football officiel, celui de l’équipe de Berkane, pour en supprimer la carte du Maroc, le logo officiel du principal sponsor, l’équipementier Bang Sport, et à contrefaire le logo du sponsor officiel de l’équipe de Berkane, la marque de thé Dahmiss?

La justice, les instances internationales, les lois, les règles… à la poubelle! Dans la nouvelle Algérie, ce pays où on enferme les lumières pour faire briller l’inculture, rien n’est impossible. Il suffit de prendre sans demander et de ne pas restituer ce qui ne vous appartient pas.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 08/12/2024 à 13h32