«Comment expliquer la rupture des liens diplomatiques avec Rabat?», interroge l’auteur d’une chronique publiée hier, mardi 1er février 2022, dans l’hebdomadaire français L’Express. «Par l'amertume algérienne devant la réussite de son voisin», répond d’emblée Frédéric Encel à cette question.
Le ton est donné, et ce maître de conférences à Sciences-Po Paris va s’évertuer dans son analyse à brosser la chronologie d’une brouille qui n’en est pas à ses prémisses entre deux «voisins, majoritairement arabes et musulmans», que l’on qualifie parfois, souligne-t-il, de «frères ennemis» en raison de «lourds contentieux les ayant déjà menés au bord de l'affrontement».
Et l’auteur de rappeler que ces tensions qui ne datent pas d’hier se sont de tout temps accompagnées de reproches et de revendications qui «proviennent surtout d'Alger» qui, en 2021, «a fermé unilatéralement sa frontière et rompu des relations diplomatiques avec Rabat».
Une jalousie ancestralePour Frédéric Encel, derrière cette crise entre les deux pays, il y a avant toute chose «une rancœur» côté algérien qui fait feu de tout bois et qui puise ses racines dans le passé des deux pays.
«D'abord, il y a cette condescendance pour un régime représenté comme archaïque car monarchique, faible de ne pas s'être décolonisé par la guerre», énumère le professeur à Sciences-Po Paris en tête de cette longue liste de griefs que nourrit le régime algérien à l’encontre du Maroc.
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Ce point précis revêt une grande importance car du côté de la junte militaire va-t-en guerre au pouvoir en Algérie, il est primordial de chanter les louanges d’une Algérie rebelle, forte et virile, en totale opposition avec un voisin marocain soumis et asservi.
Une réécriture de l’histoire qui ne trompe personne et surtout pas l’auteur de cette chronique, qui rappelle, à la lumière de l’histoire, que là où l’Algérie voit une faiblesse de la dynastie chérifienne, il convient de voir au contraire un exploit, «quasi unique dans l’immense espace arabe», celui d’avoir su «demeurer indépendante face à l’Empire turc ottoman comme devant les puissances européennes», alors même que l’Algérie a été sous domination ottomane de 1512 à 1830 avant de passer sous occupation française pendant 130 ans.
Pendant ce temps-là, le Maroc lui a incarné «un simple protectorat», rappelle Frédéric Encel, pendant «un demi-siècle seulement» et ce, jusqu’au retour de la pleine souveraineté en 1956.
En réponse à cette histoire et cette identité non assumées, le régime d’Alger adopte donc une posture «à la fois viriliste et victimaire», analyse l’auteur.
L’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien et du Polisario Cette brouille qui repose vraisemblablement sur un profond complexe identitaire va encore plus s’exacerber après l’indépendance des deux pays voisins, lorsque chacun d’entre eux décide d’adopter deux stratégies économiques, politiques et diplomatiques diamétralement opposées et qui sont aujourd’hui révélatrices des écarts qui se sont creusés entre le Maroc et l’Algérie. Ainsi, rappelle Frédéric Encel, à l’Algérie pro-moscovite se revendiquant du «nationalisme arabe et du tiers-mondisme» s’oppose un Maroc qui a de son côté maintenu le contact et «d’étroits liens» avec les Etats-Unis et la France.
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Une stratégie payante pour le Maroc, qui, sans ressources naturelles commercialisables, «sauf les peu lucratifs phosphates», parvient à progresser en vingt ans, «sur les plans aussi bien de la diplomatie, des infrastructures ou du commerce, en Afrique subsaharienne francophone notamment», explique Frédéric Encel.
Mais alors que l’ouverture sur le monde du Maroc s’inscrit dans le temps et voit se concrétiser en 2020 la signature des accords d’Abraham par Rabat, la reprise de la coopération avec Israël ne passe pas en Algérie.
Derrière cette haine viscérale que nourrit le régime d’Alger pour ce qu’il qualifie d’«entité sionniste», il y a un problème identitaire et social que la junte tente de masquer en instrumentalisant le conflit israélo-palestinien. En effet, «le choix opéré par Mohammed VI de reconnaître non plus seulement symboliquement, mais aussi constitutionnellement», en 2016, les constantes arabes, juives, amazighes et hassanies du Maroc «exaspère le pouvoir algérien», analyse l’auteur.
Et pour cause, cette reconnaissance d’un Maroc multiculturel, qui prône la richesse de sa diversité, s’oppose ici encore à un pays qui revendique une narration étato-nationale et arabe, qui «n'a jamais réglé socialement ni culturellement sa propre question berbère, et craint un nouveau printemps kabyle d'une ampleur inégalée».
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Cette peur de la révolte de la rue algérienne est d’autant plus forte que les mauvais choix économiques, politiques et diplomatiques du régime en place sont parvenus à «plomber un pays pourtant riche en hydrocarbures». De l’affaiblissement économique et diplomatique du pays après son rejet de l’apprentissage du français, au fanatisme religieux directement importé d’Egypte avec l’arabisation de l'Algérie en passant par un «système économique rentier, dirigiste et corseté par le FLN et l'armée»… Autant de «mauvais choix» dont la population algérienne est la première victime et que le régime tente de masquer en recourant à un «jusqu'au-boutisme (…) dans l'intransigeance inopérante sur le conflit israélo-palestinien».
Mais ce jusqu’au-boutisme que le régime algérien adopte pour tenter de colmater les brèches d’un système défaillant et détourner l’attention du peuple des vrais problèmes, se révèle aussi «dans le soutien politico-militaire aux militants sahraouis» analyse Frédéric Encel. Un soutien purement intéressé qui servirait les ambitions géostratégiques d’un pays qui rêve de bi-océanité et qui entend concrétiser le fantasme «d’obtenir un accès privilégié à l’Atlantique» en se servant d’un pseudo Etat sahraoui, «qui lui serait redevable, sinon inféodé, tant elle aurait soutenu ses promoteurs».
Face à l’Algérie et au Polisario se dresse ainsi le Maroc, «le commode bouc émissaire de cet entêtement dans l'échec du régime d'Alger», alors même que, relève l’auteur, «c'est bien le peuple algérien qui en est, hélas, la victime».