Bernard Lugan analyse les raisons pour lesquelles «le pouvoir algérien est jaloux du Maroc»

Bernard Lugan

Sur le plateau de l’émission «Omerta», diffusée sur YouTube le 20 mars, Bernard Lugan, historien spécialiste de l’Afrique, universitaire et ancien professeur à l’École militaire de Saint-Cyr, analyse les tensions persistantes entretenues par l’Algérie à l’égard du Maroc au sujet du Sahara marocain, nourries par la haine et la jalousie que voue le régime en place au Royaume.

Le 23/03/2025 à 13h49

Bernard Lugan livre dans cette interview datée du 20 mars une analyse pointue des enjeux géopolitiques et historiques qui sous-tendent le conflit autour du Sahara marocain, créé de toute pièce par l’Algérie, tout en explorant les implications régionales et internationales des tensions qui caractérisent les relations maroco-algériennes depuis plusieurs décennies.

Le profond complexe d’un pays sans histoire

À la lumière de la récente publication de son nouveau livre, «Histoire des Algéries», publié aux éditions Ellipses, Bernard Lugan contextualise d’un point de vue historique ce qui caractérise l’identité algérienne afin de mieux comprendre la politique menée aujourd’hui par le pouvoir en place. Ainsi, rappelle-t-il que «Les Algéries» berbères, romaines ou encore byzantines, vandales, arabo-musulmanes, ottomanes pendant trois siècles, puis enfin les Algéries françaises, n’ont existé au singulier, sous le nom d’Algérie, que depuis 1962 en tant qu’État, et que depuis 1839 sous ce nom qu’elle doit au ministre français de la Guerre qui baptisa ainsi les possessions conquises par la France.

Depuis, explique Bernard Lugan, ce nouveau pays n’a eu de cesse de gommer son histoire pour tenter de la réécrire. Du FLN qui va s’employer à effacer les origines berbères de ce territoire jusqu’à nos jours, où le pouvoir algérien perpétue la même manipulation de l’histoire laquelle est «la matrice du système», explique Bernard Lugan. C’est la seule façon de survivre pour ce système car, rappelle-t-il, «le régime algérien ne tient plus que par deux points: la détestation de la France et du Maroc».

La perpétuation de la haine pour projet d’avenir

Ce régime d’Alger, considérablement affaibli et qui n’a réussi à mobiliser que 10% d’Algériens lors des dernières élections présidentielles, «ne peut pas évoluer» et repose sur la détestation de ces deux pays, considère Bernard Lugan. D’un côté, on perpétue des tensions à l’égard de la France en donnant l’impression que la guerre d’Algérie ne s’est jamais terminée, de l’autre, «le régime algérien s’est tellement enferré dans la question du Sahara occidental, a dépensé tellement d’argent et s’est tellement mouillé dans cette affaire qu’il ne peut plus reculer», poursuit l’historien.

Aujourd’hui, le régime en place «ne peut plus reculer. Il est pris à la gorge», après avoir fait du Sahara une cause nationale «totalement délirante».

Bernard Lugan considère ainsi que «l’Algérie est dans la récrimination car si elle abandonne sa double querelle existentielle vis-à-vis du Maroc et de la France, pour des raisons différentes, le système s’effondre car la seule raison de survie de ce système, ce sont ces deux points».

Des relations apaisées entre la France et l’Algérie, à l’image des relations franco-marocaines, sont-elles envisageables? Bernard Lugan n’y croit pas, tout du moins tant que ce système sera en place et avec lequel il convient de rompre, estime l’historien. «Je ne pense pas que nous aurons un jour des relations aussi décomplexées qu’avec le Maroc», entrevoit-il.

Une tradition diplomatique séculaire face à un régime d’apparatchiks

C’est encore une fois vers l’histoire, celle que tente de réécrire le régime algérien qu’il convient de se tourner pour comprendre les raisons pour lesquelles l’Algérie ne pourra jamais rivaliser avec le Maroc, ne serait que d’un point de vue diplomatique, et que c’est précisément ce qui nourrit son incurable jalousie à l’égard de son voisin. «Comme l’Algérie n’a pas d’histoire en tant qu’État nation, elle nourrit un complexe existentiel qui est du niveau quasiment psychanalytique tandis qu’avec le Maroc nous sommes en présence d’un vieil État qui est millénaire. Et cet État millénaire a une tradition diplomatique. Il existait avant la France qui a été une parenthèse dans son histoire, une toute petite parenthèse, alors que la France a créé l’Algérie», explique-t-il.

Pour illustrer davantage ce fait historique, Bernard Lugan livre une anecdote sur la diplomatie marocaine. «Je me suis amusé à prendre la liste des responsables politiques marocains à la veille du Protectorat français, et après 1956, après l’indépendance. Nous voyons que ce sont les mêmes familles parce qu’il y a une tradition de diplomatie, de civilité, la tradition d’un pays fort de ses racines. Et comme ce peuple, cette nation est forte de ses racines, elle n’est pas dans la récrimination».

Les comparaisons ne sont donc pas possibles entre le Maroc et l’Algérie, pour la simple et bonne raison que le Maroc se projette dans l’avenir et ne s’inscrit pas dans une réécriture de son histoire, mue par la haine. «Les Marocains ne parlent pas de ce qui s’est passé pendant l’époque du Protectorat où Lyautey est considéré comme un grand personnage. Ceci ne peut pas exister en Algérie parce que ce pays est mu par la philosophie de la récrimination et par la rente génocidaire. Le pouvoir algérien est jaloux du Maroc et il en veut à la France», explique à ce titre Bernard Lugan.

Un pays isolé qui se décrédibilise sur la scène internationale

Bernard Lugan encourage ainsi le gouvernement français à durcir le ton avec l’Algérie, qu’il invite à avancer sans regarder dans le rétroviseur et avec un pied sur le frein car la France, poursuit-il, souhaite avoir des partenaires comme le Maroc. «Nous préférons travailler avec des adultes plutôt qu’avec des enfants capricieux», déclare Bernard Lugan, rappelant que, «l’Algérie a réussi, depuis la mort de Bouteflika il y a cinq ans, à se mettre à dos tout le monde. Son isolement diplomatique est total, au point qu’elle a même commencé à se fâcher avec les Turcs à propos de la Syrie».

Si l’Algérie a autant de problèmes diplomatiques, «c’est tout simplement parce qu’elle n’a pas de tradition diplomatique. C’est là où se voit toute la différence encore une fois avec le Maroc qui a une vieille diplomatie», explique Bernard Lugan, mettant en opposition «les diplomates marocains formés depuis des siècles» et les «apparatchiks à la tête du pouvoir algérien, qui sont des profiteurs du régime, des gens qui n’ont pas de traditions, qui ne sont pas des élites traditionnelles mais des parvenus».

Pour retrouver un climat de sérénité, il faudra donc attendre une prochaine génération de leaders en Algérie, pour espérer un retour au réel et pour que l’histoire cesse d’être «le paradis et l’enfer des Algériens», comme le préconisait l’historien Mohamed Harbi. Et de citer le cas de Boualem Sansal, victime de cette réécriture de l’histoire algérienne qui n’accepte aucune entorse aux mensonges dont on l’entoure, et dont le seul tort est d’avoir rappelé que la partie ouest de l’Algérie était en fait la partie est du Maroc.

Ses propos relèvent d’une «provocation vis-à-vis des Algériens mais c’est une folie parce que tout le monde sait que toute cette partie de l’Algérie était marocaine: Colomb-Béchar, Tindouf, le Gourara, le Tidikelt, la Saoura… tout cela était marocain jusqu’aux années 1890. C’est la France qui a détaché toutes ces régions pour les rattacher à l’Algérie», rappelle Bernard Lugan. Et de s’interroger à juste titre: «Comment un historien comme Benjamin Stora peut-il ignorer cette réalité? C’est comme si on disait que l’Alsace et la Lorraine n’avaient jamais été détachées de la France. C’est absolument aberrant».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 23/03/2025 à 13h49

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