Nicolas Baverez, chroniqueur de renom au Figaro et ancien de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration, n’y va pas par quatre chemins. «Jamais l’Algérie n’a conduit depuis son indépendance une politique aussi délibérément et frontalement anti-française», lance-t-il d’emblée, alors même que, côté français, Emmanuel Macron a fait de l’Algérie et du thème de la colonisation la pierre angulaire de son parcours politique et de sa politique étrangère, «quitte à se brouiller avec le Maroc», précise le chroniqueur.
Sous le vernis fragile de cet «affichage de proximité» entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune se profile en fait «une profonde dégradation des relations entre les deux pays», que ni le rituel des voyages en Algérie du président français et son gouvernement, ni ses déclarations unilatérales «appelant à tourner la page de la colonisation» ne peuvent enrayer, analyse l’auteur de la tribune.
Car sur le terrain, la réalité témoigne que le régime algérien considère comme une faiblesse la main tendue et les concessions du président français. Et Nicolas Baverez d’en prendre pour exemple la discrimination des entreprises françaises, ou encore l’éradication en cours de la culture et de la langue françaises. A cela s’ajoutent le refus par l’Algérie de délivrer des laissez-passer consulaires à ses ressortissants expulsés de France, le soutien affiché et assumé d’Alger aux émeutiers en France suite à la mort du jeune Nahel, ou encore, d’un point de vue international, l’appui du régime algérien à la Russie «pour bouter la France hors du continent africain».
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Ainsi, il est désormais évident que «la seule source de légitimité de la dictature militaire comme de l’identité nationale algérienne est l’éternel retour de la guerre d’indépendance et la détestation de la France», analyse l’auteur de la chronique. Et de parier que «l’agressivité envers (la France) ne peut que croître avec la reprise en main de l’Algérie par l’Etat profond», lequel, faute d’être capable de «casser la spirale du non-développement», sera animé par «la volonté de revanche du Sud global contre les anciennes puissances coloniales».
Les matières premières, un miroir aux alouettes
Certes, d’aucuns avanceront l’argument des hydrocarbures qui font la richesse et la prétendue puissance de l’Algérie, mais l’auteur a tôt fait de déconstruire cette idée reçue en rappelant le cas similaire du Venezuela, qui incarne avec l’Algérie, «le meilleur exemple de la malédiction des matières premières», avec, dans un cas comme dans l’autre, «un pays immensément riche ruiné par un régime dictatorial et corrompu ainsi que par le choix d’un modèle socialiste d’économie dirigée».
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Ainsi, malgré l’apparente embellie de l’économie liée à l’envolée du prix des hydrocarbures, «la situation demeure cependant très fragile car cette manne financière n’est pas mise au service du décollage économique mais du financement du pacte politique pervers qui échange le déversement d’aides sociales contre le maintien de la dictature», poursuit Nicolas Baverez.
Quant à la rente des hydrocarbures, «elle va de pair avec l’échec de la diversification et l’euthanasie du secteur privé», sans compter que «l’omniprésence de l’État et la corruption endémique limitent drastiquement les investissements directs étrangers tandis que le chômage touche un quart des actifs et plus de la moitié des jeunes».
L’urgence pour la France de sortir du déni
On ne saurait donc, selon Nicolas Baverez, dissocier le blocage du développement de l’immobilisme du système politique, car les deux vont de pair. Il est donc «plus que temps pour la France de sortir du déni sur la nature du régime algérien et sur sa stratégie de déstabilisation de notre pays», met en garde l’auteur, car si «l’Algérie est un pays hautement stratégique pour l’équilibre de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord comme pour celui du marché du gaz», elle est aussi «une bombe à retardement, dont l’explosion programmée sera catastrophique pour la France». L’explication est à chercher d’un point de vue démographique et économique, car «sa population atteindra en effet 60 millions d’habitants en 2050 et son économie est promise à la ruine par la fin de la rente des hydrocarbures et l’accélération du réchauffement climatique». C’est dire le danger qui guette la France, qui, «au lieu de cultiver sa soumission à la rente mémorielle du régime», devrait plutôt «redéfinir une politique cohérente vis-à-vis de l’Algérie».
Les cinq priorités qui doivent régir la politique française à l’égard de l’Algérie
Pour l’essayiste, «l’heure n’est plus à rêver à des partenariats chimériques avec l’Algérie mais à gérer le risque réel qu’elle constitue» en redéfinissant la politique française à l’égard de l’Algérie selon cinq priorités. La première de toutes: «la remise en cause de l’accord du 27 décembre 1968 octroyant aux Algériens un statut dérogatoire au droit commun en matière d’immigration qui interdit tout contrôle des flux alors qu’ils représentent 12,7% des immigrés vivant en France», explique Nicolas Baverez en se rangeant, de fait, à l’avis de l’ancien ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt, mais aussi de l’ancien premier ministre et présidentiable Edouard Philippe, ainsi que des nombreuses autres voix qui s’élèvent contre cette accord.
La seconde de ces priorités absolues est la «mise en place d’une stratégie de codéveloppement fondée sur le secteur privé et les entrepreneurs», suivie du «maintien des liens avec la société civile algérienne en mobilisant la diaspora et le levier de la langue française».
Ensuite, poursuit Nicolas Baverez, il s’agit aussi de déployer «un système européen intégré de surveillance et d’intervention en Méditerranée afin de pouvoir en assurer la sécurité en toutes circonstances». Enfin, le dernier pilier de cette nouvelle politique et non des moindres, concerne «la réconciliation avec le Maroc, qui constitue le meilleur allié pour stabiliser l’Afrique».