Algérie: à un an de la présidentielle, Tebboune dévitalise le gouvernement en dotant ses conseillers de pouvoirs extraconstitutionnels

Le président algérien Abdelmajid Tebboune, au palais présidentiel d'Alger, le 10 octobre 2022.. AFP or licensors

Le contrôle de la constitutionnalité des lois est apparemment un filtre qui ne fonctionne pas en Algérie, où le président Abdelmadjid Tebboune a signé, le 26 septembre courant, un décret qui viole la constitution algérienne à tous les étages. Ce décret présidentiel, qui porte sur «la réorganisation des services de la présidence de la République», a été publié sous le sceau de l’urgence au Journal officiel et érige le directeur de cabinet et les conseillers d’Abdelmadjid Tebboune en nouveau gouvernement, aux très larges pouvoirs extraconstitutionnels.

Le 29/09/2023 à 15h33

Le Premier ministre algérien Aymène Abderrahmane et le gouvernement qu’il dirige vont-ils démissionner après la publication au Journal officiel du 27 septembre courant du décret présidentiel n° 23-331, signé le 26 septembre 2023 par Abdelmadjid Tebboune, qui vide leurs attributions constitutionnelles de toute substance, au profit de son directeur de cabinet et de ses conseillers?

La question est d’autant plus légitime que Tebboune semble avoir opéré un coup de force en faisant l’économie d’un vaste remaniement ministériel, pour décider unilatéralement la transformation des services de la présidence en véritable gouvernement, à travers un simple décret, que la Cour constitutionnelle algérienne semble avoir laissé passer comme une lettre à la poste, alors qu’il viole de façon flagrante la constitution algérienne de 1996 (révisée pour la 4ème fois en décembre 2020, malgré un boycott quasi total du référendum par le corps électoral).

Le décret signé mardi dernier, et entré en vigueur moins de 24 heures plus tard (une première en matière de célérité dans la publication d’un décret présidentiel), donne de très larges pouvoirs au directeur de cabinet et aux conseillers de la présidence algérienne, à tel point que Tebboune n’a plus besoin de coordonner ses décisions avec les membres du gouvernement, faisant ainsi de la Mouradia la citadelle exclusive du pouvoir exécutif.


Le chapitre 1er du décret précité énumère toutes les nouvelles «attributions» dévolues par Tebboune aux «services de la présidence de la République». Ces derniers sont désormais chargés, selon l’article 2 du décret présidentiel, «de suivre et de participer à la mise en œuvre du programme, des orientations et des décisions du président de la République et de lui en faire rapport. À ce titre, ils assurent le suivi des affaires économiques, des activités gouvernementales et des questions politiques et institutionnelles, et rendent compte de leurs évolutions».

Ces attributions sont en contradiction avec l’article 105 de la constitution algérienne, qui dispose que le président de la République «nomme un Premier ministre et le charge de lui proposer un gouvernement et d’élaborer un plan d’action pour la mise en œuvre du programme présidentiel qu’il présente au Conseil des ministres». Exit donc le Premier ministre et son gouvernement.

Pire, ce texte ajoute que les services de la présidence assistent le chef de l’État «dans l’exercice de ses prérogatives et de ses responsabilités constitutionnelles», et «peuvent se voir confier… toutes autres missions, activités ou tâches», ce qui est une tentative claire de donner une onction constitutionnelle à une équipe dont le rôle doit se limiter à organiser l’agenda, le courrier, les réceptions et autres déplacements du président, tout en lui prodiguant des conseils qui l’aident dans la prise de certaines décisions.

Or, les services de la présidence, en s’occupant aussi de «la situation politique, économique, sociale et culturelle du pays», des «études liées aux dossiers politiques, économiques, sociaux, culturels ou énergétiques», ainsi que du «traitement et (de) l’analyse des requêtes des investisseurs, opérateurs économiques et autres requêtes spéciales, en coordination avec les conseillers», empiètent également sur les attributions constitutionnelles d’institutions étatiques comme le Conseil économique et social local, et surtout l’Assemblée nationale populaire qui a voté et adopté le plan d’action gouvernemental élaboré en vue d’exécuter le programme que le président s’est engagé à mettre en œuvre durant son mandat.

Le fait que l’article 4 dudit décret ajoute que «les services de la présidence de la République n’ont pas vocation à se substituer aux institutions et administrations compétentes ni à s’immiscer dans l’exercice de leurs attributions», ne change rien à l’inconstitutionnalité de ce décret signé dans la précipitation par Tebboune et son clan présidentiel.

Avec toutes ces prérogatives accordées à ses collaborateurs de la Mouradia, Abdelmadjid Tebboune n’aura donc plus besoin de solliciter les membres du gouvernement, mais exercera le pouvoir en vase clos, pour ne pas dire de façon clanique. Il rend aussi caduc le parlement, qui ne servait déjà à pratiquement rien, mais qui se retrouve de fait allègrement enjambé par le super cabinet de Tebboune.

Et pourtant, tout un chacun croyait que ces conseillers présidentiels, aujourd’hui érigés en super gouvernement, allaient être vilipendés et limogés suite aux nombreux dérapages mensongers d’Abdelmadjid Tebboune qu’ils ont laissé passer, dont le dernier en date n’est autre que son scandaleux discours devant la 78ème Assemblée générale de l’ONU, où il a affirmé que son pays allait procéder dès l’année prochaine au dessalement de 1,3 milliard mètres cubes d’eau de mer par jour!

En donnant subitement autant de pouvoirs à ses conseillers, Tebboune semble avoir opéré une manœuvre qui risque de lui être fatale dans la guerre sans merci qui l’oppose au clan des généraux protagonistes de la décennie noire. Dans une vaine tentative de s’imposer comme le seul candidat viable du «système» pour briguer un nouveau mandat lors de la présidentielle de 2024, Tebboune a agi en voyant ses conseillers récemment rappelés à l’ordre par la présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes, Saïda Neghza. Cette dernière leur a clairement signifié, par écrit et sur les réseaux sociaux, que le pouvoir en Algérie est toujours sous la «casquette», en référence au duo des généraux à la retraite, Khaled Nezzat et Mohamed Mediène dit Toufik, ainsi qu’au chef d’état-major Saïd Chengriha.

Par Mohammed Ould Boah
Le 29/09/2023 à 15h33