Algérie: face aux manifestations massives des élèves, le régime dénonce un complot visant à déstabiliser le pays

Depuis le 19 janvier 2025, des milliers de collégiens et de lycées manifestent dans plusieurs villes d'Algérie.

Depuis le 19 janvier 2025, des milliers de collégiens et de lycées manifestent dans plusieurs villes d'Algérie.

Alors que des manifestations massives de collégiens et de lycéens paralysent le système éducatif de plusieurs villes en Algérie, médias et autorités préfèrent accuser une main étrangère, plutôt que de chercher des réponses aux demandes des manifestants. Cette énième marque de mécontentement des jeunes Algériens fait trembler le régime.

Le 23/01/2025 à 12h19

Depuis le 19 janvier, la colère estudiantine gagne du terrain et se propage dans de nombreuses villes d’Algérie. À Constantine, Sétif, Tizi Ouzou, Batna, Ouargla, Alger ou encore Sidi Bel Abbès, les adolescents refusent de retourner en classe et investissent par milliers les rues de leurs villes. Brandissant des pancartes où se lisent leurs griefs, ils crient à l’unisson une colère qui s’amplifie face à la répression policière à laquelle ils se heurtent et à la passivité des responsables.

Le système éducatif algérien, ils n’y croient plus. Au cœur de leurs demandes: une révision de fond en comble des conditions d’études, jugées invivables. Ils dénoncent ainsi la surcharge des programmes et des horaires, le bas niveau de l’enseignement dispensé dans les établissements, des programmes scolaires qui ne sont pas actualisés, ou encore la récente interdiction par le ministère du Commerce de suivre des cours particuliers dans des écoles de langues, le gel des activités des associations offrant des sessions de préparation aux épreuves du Baccalauréat et du Brevet de l’enseignement moyen (BEM)…

Face à l’ampleur de ces manifestations, que les autorités n’ont pas vue venir, Mohammed Seghir Saâdaoui, ministre de l’Éducation nationale, a évoqué lors d’une conférence de presse tenue le mardi 21 janvier «les efforts déployés par son département pour alléger les programmes scolaires et les matières enseignées, en adéquation avec le programme du président de la République, Abdelmadjid Tebboune».

Ironie de la chose, alors que cette annonce de réformes à venir appuie explicitement le bien-fondé des revendications estudiantines, les éléments de langage dispensés dans les médias algériens s’emploient à minorer l’importance du phénomène et à dénoncer (sans surprise) un complot, fomenté depuis l’étranger et visant à déstabiliser l’Algérie.

Pour calmer la jeunesse, la théorie du complot ne fonctionne pas

Ces manifestations qualifiées d’«inattendues» et ces protestations jugées «suspectes et surprenantes», seraient en fait l’œuvre d’une main étrangère qui recruterait par le truchement «d’entités anonymes opérant sur Facebook, pour faire valoir une liste de revendications en plein milieu de l’année scolaire», peut-on ainsi lire dans la presse algérienne. Celle-ci dénonce également «la volonté de certaines parties de fomenter le désordre social, en commençant par le milieu scolaire». Ces milliers de jeunes Algériens seraient ainsi «manipulés», dans le cadre de «manifestations équivoques visant à défendre des causes dont ils ne saisissent pas pleinement la portée».

Une insulte à l’égard d’une jeunesse dont le cri de révolte se lit sur les pancartes qu’elle brandit: «L’école algérienne détruit la jeunesse», «Les étudiants souffrent des décisions des anciens», «Des élèves intelligents, des programmes stupides»… Visiblement, la jeunesse algérienne est loin d’être dupe de l’embrigadement idéologique d’une école devenue le terreau de la propagande et de l’abrutissement des masses.

Mais face à la répression policière à laquelle ils se heurtent et à l’indifférence des responsables pédagogiques -sur une vidéo, l’un d’entre eux suggère aux manifestants d’arrêter les études si le système ne leur convient pas-, les slogans de ces milliers de jeunes se teintent d’une couleur plus politique qui inquiète au plus haut point le régime d’Alger. Dans une vidéo, on entend parmi ces slogans scandés par la foule: «Nous avons le droit de revendiquer nos droits», ou encore, «Vous avez mangé le pays, vous les méprisants!».

Ce n’est pas la première fois que l’Algérie est le théâtre de manifestations d’une telle ampleur, rassemblant collégiens et lycéens. C’était déjà le cas en 2008, puis en 2009, précisément pour les mêmes raisons, sans que les problèmes aient été résolus depuis. Résultat, en mars 2019, les lycéens étaient descendus par milliers dans les rues d’Alger pour manifester contre le prolongement du mandat d’Abdelaziz Bouteflika. «Les temps ont changé, nous sommes le pouvoir, vous êtes le désespoir. Dégagez!», pouvait-on lire sur leurs pancartes.

Aujourd’hui, le dégagisme se répand de nouveau en Algérie. Et les vieillards qui dirigent ce pays de jeunes n’ont que la répression comme arme pour faire taire la voix de la jeunesse. Après le hashtag #Manich radi («je ne suis pas satisfait») qui a fait trembler le régime, voici des centaines de milliers d’élèves qui désertent le terrain virtuel des réseaux sociaux pour investir la rue. Et ce n’est pas l’antienne du «complot extérieur», usée jusqu’à la corde, qui fera taire leurs voix.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 23/01/2025 à 12h19