Que se passe-t-il en Algérie? Décidément, les vieux démons reviennent-ils toujours dans ce pays? Les protagonistes de l’époque du «Qui tue qui?» n’ont qu’une seule recette en tête: utiliser l’épouvantail du terrorisme pour procéder à un coup de force. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui rend très incertain un second mandat d’Abdelmadjid Tebboune.
Le Front islamique de salut, officiellement dissous le 4 mars 1992, soit 3 années seulement après sa création en 1989, fait toujours parler de lui. Non pas qu’il soit en train de se reconstituer en tant que formation politique, mais parce que la junte algérienne n’en finit pas de manipuler à sa guise certains anciens dirigeants de cet ex-parti islamiste, en vue d’en faire un épouvantail contre la contestation populaire qui sourd dans le pays.
Depuis le retour en force, à partir de 2020, des généraux protagonistes de la décennie noire des années 90, le «terrorisme islamiste» est régulièrement agité par la junte militaire au pouvoir sous forme de stratégie de la peur, ce qui lui a d’ailleurs permis de mettre momentanément en veilleuse le Hirak populaire anti-pouvoir militaire.
Le dernier épisode marquant de cette stratégie de la peur est le discours prononcé le 20 avril dernier, à la caserne de l’armée de l’air algérienne, par le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, qui déclarait alors que l’Algérie est «une fois encore, face à de sinistres tentatives visant la sécurité et la stabilité de la nation. Ces vaines tentatives se sont manifestées dernièrement par le retour des activités de certains intégristes connus pour leurs discours religieux extrémistes, qui rappelle les années 90 du dernier siècle». Chengriha faisait allusion aux critiques acerbes que lui décochait, ainsi qu’au président Abdelmadjid Tebboune, l’ex-numéro 2 du FIS, Ali Belhadj, actuellement en résidence surveillée, mais laissé sciemment libre de s’exprimer sur les réseaux sociaux.
C’est ce même scénario qui se répète à nouveau avec la récente sortie, samedi 30 septembre, du chef des «cadres de l’authentique Front islamique du salut», Cheikh Ali Benhadjar, qui s’est montré peu tendre avec «l’Algérie nouvelle» promise par Tebboune. Dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux, l’ancien enseignant et herboriste de Medéa fustige ce qu’il appelle la «tragédie» que vit actuellement l’Algérie à cause des «politiques erronées, d’un égoïsme destructeur et d’une cupidité sans limites dans les rangs de l’élite au pouvoir». Une situation qui explique, selon Ali Benhadjar, «l’extrême pauvreté due à la dégradation vertigineuse du pouvoir d’achat des Algériens et le désespoir qui oblige les jeunes Algériens, dont des cerveaux, à fuir le pays».
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Ali Benhadjar a également pointé du doigt la propagande mensongère du régime et de ses médias, qualifiée d’«arbre qui n’arrive pas à cacher la désertification caractérisant l’échiquier politique local», faisant de l’Algérie un pays qui n’a plus, sur le plan géostratégique, la moindre influence ni régionale ni internationale.
Tout en exigeant la libération de tous les prisonniers du FIS, Ali Benhadjar déclare que «les cadres de l’authentique Front islamique du salut cherchent à établir un État de justice et de libertés, un État d’institutions et de droit où sont bannis les aventures politiques et alignements aux conséquences non calculées». Un vaste programme qui a pour visée de dresser un bilan désastreux du mandat de Tebboune.
Cette diatribe a valu à Ali Benhadjar d’être arrêté par la police dimanche dernier en début d’après-midi. D’autres ex-membres du FIS, dont Ahmed Zaoui, Mabrouk Saâdi et Nasreddine Tourkmani, accusés d’avoir participé à la confection du communiqué lu par Ali Benhdjar sur les réseaux sociaux, auraient été également interpellés le lundi 2 octobre.
Certains porte-voix des généraux, tout en tissant des lauriers à ces membres de l’ex-FIS, qualifiés à la fois de «terroristes» et de «vénérables hommes de religion ayant le courage d’exprimer ouvertement leurs idées», ont accusé les services de la présidence algérienne d’avoir outrepassé une nouvelle fois leurs prérogatives, en ordonnant à une section de la police chargée de la répression des crimes d’arrêter les dirigeants islamistes, alors que cette affaire liée à un enjeu de sécurité nationale aurait dû être confiée aux services de l’armée.
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Il est donc clair qu’en arrêtant Ali Benhadjar, le clan de la présidence a tenté de désamorcer ce «message piégé» de l’ex-FIS, en répondant du tac au tac au clan subversif des généraux de la décennie noire, dont personne n’ignore plus les accointances avérées avec Ali Benhadjar. Dès 1991-92, ce dernier a été utilisé par ces généraux en vue de radicaliser de l’intérieur le FIS et de saper ainsi la puissante aile politique modérée du parti islamiste dissous, dont il fut député.
En 1993, il a été envoyé par le DRS (Département du renseignement et de la sécurité) dans les maquis islamistes en tant qu’émir du GIA (Groupe islamiste armé). Aujourd’hui encore, il est réactivé comme une arme contre le clan présidentiel pour montrer que les échecs de la gouvernance de Tebboune ont réveillé les vieux démons.
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De quoi cette sortie d’Ali Benhadjar est-elle alors le nom? Aux yeux des généraux protagonistes de la décennie noire, elle est annonciatrice d’un climat similaire à celui qui a précédé leur coup de force contre les islamistes en 1992. La grille de lecture de Nezzar, Toufiq, Chengriha et Mhenna est restée immobile. En géopolitique, elle fait fi de la chute du mur de Berlin, et en politique intérieure, elle n’a qu’une recette pour avoir les coudées franches: la menace islamiste. Il ne faudrait pas alors s’étonner de voir, dans les prochaines semaines, l’armée des généraux intervenir pour dégager par la force Tebboune et ses hommes.