Les médias et les responsables algériens mènent une campagne virulente pour dénoncer les essais nucléaires qui avaient été menés par la France dans le désert algérien. Il ne passe pas un jour sans que l'on lise plusieurs articles sur ce sujet. Même le ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, s’est invité à cette campagne en postant dans un tweet: «en date du 13 février 1960 à 7h04, la France coloniale a effectué son premier essai nucléaire dans la région de Reggane au sud de l'Algérie, une opération baptisée “Gerboise bleue“», d'une puissance de 70 kilotonnes, équivalente à une explosion 3 à 4 fois plus puissante que la bombe lancée sur Hiroshima, ce qui a entraîné des radiations désastreuses dont les préjudices sont visibles, jusqu'à aujourd'hui, sur la santé des habitants et l'environnement».
D’après une dépêche de l’APS, l’historien algérien Mohamed El Korso a exigé, le 12 février, «la récupération des archives liées aux explosions nucléaires françaises en Algérie, pour mesurer les répercussions de ce crime contre l'humanité aux plans sanitaire et environnemental».
«La France coloniale» est ainsi vivement dénoncée. Mais ce qui est surprenant, c’est que les médias algériens aux ordres qui, tout en rappelant et fustigeant à nouveau ces essais, très répréhensibles certes, omettent cependant de préciser qu’ils se sont poursuivis après l'indépendance de l'Algérie, avec la bénédiction du président Houari Boumédiène, qui a continué à les autoriser jusqu’à sa mort.
Ce sont donc les responsables algériens, encore en vie, qui ont travaillé sous les ordres de Boumédiène, qui devraient d’abord être auditionnés par la justice et poursuivis, surtout que la France a agi en vertu d’accords bilatéraux l’autorisant à transformer la partie nord du Sahara algérien en second plus grand centre d’expérimentations chimiques dans le monde, après l’Union soviétique de l’époque.
Ce que le régime algérien a toujours caché, c’est que les accords d’Evian de 1962, en vertu desquels la France a octroyé à l’Algérie son indépendance, contenaient en annexe une clause secrète, signée noir sur blanc entre les deux pays, mais jamais publiée. Cette clause concerne l’autorisation expresse accordée par les autorités algériennes à la France en vue de continuer à disposer d’un vaste site dans le désert algérien pour les besoins de ses essais d’armement militaire non conventionnel.
Si l’on peut comprendre que le premier gouvernement de l’Algérie indépendante était encore en position de faiblesse, en 1962, pour céder à l’adjonction de cette clause secrète sur les essais nucléaires français, qu’en dire de la reconduction de cette même clause secrète, en 1967, puis en 1972, sous le régime du président Houari Boumédiène, homme fort de l’Etat et de l’armée algériens de 1965 à 1979, et prétendu révolutionnaire et anti-impérialiste? En effet, malgré la dénonciation par le premier président algérien, Ahmed Ben Bella, le 20 mars 1963, de l’explosion atomique d’In-Ekker, opérée dix jours plus tôt dans la région de Tamanrasset par les scientifiques français, son tombeur et geôlier, Houari Boumédiène, a reconduit, le 27 mai 1967, l’accord-cadre sur B2-Namous, nom de code du site secret d’essais nucléaires.
Selon des révélations parues en octobre 1997 dans le Nouvel Observateur, suite à une longue enquête du journaliste Vincent Jauvert, ce nouvel accord a été signé, en catimini, par l’ambassadeur de France à Alger, Pierre de Leusse, et le commandant algérien Chabou, «au nom du président Boumédiène».
Suite à cet accord, les militaires français ont testé dans leur base algérienne ultra secrète une panoplie d’armements chimiques et biologiques, allant des grenades aux missiles, en passant par les mines, obus et toutes catégories de bombes à base de munitions chimiques.
Contrairement à ce qu’ont toujours affirmé Paris et Alger, pour faire croire que les bases militaires françaises en Algérie ont été définitivement fermées en 1968, les quatre centres militaires français d’essais nucléaires et spatiaux (à Reggane, In-Ekker, Colomb-Béchar et Hammaguir) n’ont fermé qu’en 1978.
Il faut rappeler qu’un avenant de camouflage à l’accord de mai 1967 a été signé le 4 décembre suivant par les responsables algériens.
Pour cacher la présence militaire de l’armée française et la nature de ses activités, le site d’essais, B2-Namous, a été officiellement confié à une entreprise civile, prétendant travailler pour le compte du gouvernement algérien. Il s’agit de la Société d'études techniques et d'entreprise générale (Sodeteg), filiale du groupe français Thomson (un géant de l’électroménager et de l’électronique), partenaire et aménageur attitré de sites d’essais NBC (nucléaire, biologique, chimique) au profit de l’armée française en Algérie, en France, en Guyane… Ses véhicules, matériels et produits entrant en Algérie ne sont pas déclarés en douane pour raisons de discrétion, alors que l’aérodrome de Namous, d’où les Français embarquent et débarquent, est méconnu des contrôleurs du trafic aérien en Algérie et ailleurs.
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D’ailleurs, pour assurer un blackout hermétique sur les activités réelles du site de B2-Namous, c’est l’armée algérienne qui a été chargée par les accords de 1967 d’assurer la garde extérieure de ce vaste espace, sous forme de polygone de plus 6000 km2. C’est donc l’armée algérienne qui a veillé, jusqu’en 1978, date d’expiration du troisième accord bilatéral sur les essais nucléaires, à éloigner les regards indiscrets sur cette activité officiellement consentie au colonisateur «honni».
Tous ces accords secrets ont été discutés personnellement par l’ex-président algérien Houari Boumédiène avec l’Elysée et ses émissaires. Son bras droit et confident dans ces tractations, le commandant Chabou, a fini par disparaître, en 1969, lors d’un accident d’hélicoptère qui a tout l’air d’un assassinat masqué.
Boumédiène a vraisemblablement utilisé la carte du maintien des sites d’expérimentation nucléaire et chimique, dans le secret espoir que cette technologie puisse un jour être «nationalisée» par l’Algérie. En effet, pour signer le troisième accord prolongeant la présence militaire française sur son territoire, l’Algérie avait exigé, en 1972, que ses ingénieurs soient formés et associés aux essais et expériences ayant cours à B2-Namous. Ce que la France a accepté, le temps d’arracher la signature du nouvel accord, mais tout en refusant plus tard aux Algériens l’accès aux informations sensibles qui leur auraient permis de se lancer dans la confection d’armes chimiques. Mieux, en 1978, la France a complètement détruit, et même décontaminé selon ses dires, toutes les installations du centre B2-Namous, dont il ne reste plus la moindre trace.
Il y a plus étonnant encore: dans le dernier numéro (février 2021) de la revue mensuelle de l’armée algérienne, El Djeich, un dossier, intitulé «Explosions nucléaires et chimiques françaises: des crimes à ne pas oublier», contribue au hallali. Cette revue, qui est le porte-voix de l’Armée nationale populaire (ANP), semble oublier que c’est sous la surveillance de l’armée algérienne que les Français ont mené leurs essais chimiques, bactériologiques et nucléaires, dans une Algérie indépendante, jusqu’en 1978. Si des responsabilités doivent être pointées aujourd’hui, c’est celles aussi de l’armée algérienne et des hauts responsables qui ont servi sous Houari Boumédiène. On savait que l’Algérie a une très jeune histoire, mais on ignorait qu’elle n’a pas de mémoire.