Algérie: selon la présidente de la Confédération générale des entreprises, l’APS est une agence du «mensonge, du populisme et de la falsification des faits»

Saida Neghza, présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA).

Nouveau bras de fer au sommet du régime d’Alger. Dimanche 10 septembre, l’agence de presse officielle Algérie Presse Service (APS) a sorti l’une de ces dépêches «mystérieuses» dont elle a fait sa spécialité pour traîner dans la boue la présidente du patronat algérien, Saida Neghza. Le seul crime de cette entrepreneure est d’avoir soumis au président algérien, le 5 septembre courant, une radioscopie sur le marasme économique qui prévaut au pays. La patronne des patrons algériens a réagi à l’approche «calamiteuse» et la soumission aveugle à un «maître» fantôme.

Le 11/09/2023 à 16h45

Alors que le rejet sans ménagement de la candidature algérienne visant à intégrer le groupe des BRICS a enclenché un vaste débat sur les nombreuses tares de l’économie algérienne, le patronat algérien a cru bon d’y contribuer. C’est en ce sens que la présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), Saida Neghza, a adressé une lettre au président algérien, Abdelmadjid Tebboune, dans laquelle sont déclinés les liens entre les causes réelles de la persistance du «marasme économique» en Algérie et les contraintes draconiennes imposées au secteur privé, premier employeur dans le pays.

Dans ce compte-rendu sur «la situation socioéconomique du pays», Saida Neghza explique que l’état des lieux «se traduit par un marasme économique», «un climat des affaires souffrant du manque de confiance» et une hausse «presque généralisée des prix». Dans ce tableau noir, tout y passe: inanité de la loi Tebboune sur la spéculation alors que c’est l’arrêt des importations des produits de base qui a créé les pénuries en Algérie, non-convertibilité du dinar et quasi-monopole du marché des devises par l’informel (square) qui a créé un effet d’éviction sur les entrepreneurs importateurs, persécutions et pressions via de fortes amendes imposées aux opérateurs économiques privés dont certains ont mis la clé sous le paillasson, à cause des favoritisme, népotisme, corruption…, surtout dans la délivrance des licences d’importation.

Bien évidemment la réponse à la lettre de Saida Neghza, lettre rendue publique sur sa page Facebook, jeudi dernier, n’est pas venue de Tebboune, mais de là où on l’attendait le moins.


Dans un article «téléguidé», repris par tous les médias du régime et intitulé «Lettre de Saida Neghza: quand le folklore investit l’économie», la rédaction d’Algérie Presse Service (APS) commence par faire l’éloge de prétendues «réformes engagées par le pays depuis 2020 pour le redressement des finances de l’Etat, afin d’éviter de tomber entre les mains du FMI et qui ont permis de booster la production nationale afin d’atteindre, à l’horizon 2023-2024, 13 milliards de dollars d’exportation hors hydrocarbures».

Le principal reproche que l’APS fait à Saida Neghza c’est d’oser s’adresser directement à la présidence de la république, tout en divulguant sur Facebook le contenu de sa missive destinée à Tebboune. «Mme Saida Neghza a osé. D’ailleurs, c’est sa principale qualité: Elle ose et c’est à ça qu’on la reconnait», menace l’APS, qui renie au patronat tout droit de présenter des revendications ou propositions au chef de l’Etat, car «les doléances économiques et sociales», sont du ressort des seules institutions de «la nouvelle Algérie» comme «le CREA et le CNESE», alors que la Confédération générale des entreprises algériennes a été créée en 1989.

Sur la cherté de la vie dénoncée par le patronat, l’APS rétorque qu’aucun produit n’a connu la moindre hausse de prix, «sauf pour les viandes dont l’importation a été autorisée, pour toute l’année, afin de juguler la hausse des prix». D’ailleurs, n’hésitant pas à mentir davantage, l’APS écrit que «les prix en Algérie sont les plus bas» du monde! L’APS semble oublier qu’il y a à peine un mois le président algérien a consacré la séquence la plus pimentée de son entretien avec la presse locale aux prix des lentilles et des haricots qui se sont envolés.

Pas question non plus de dialogue tripartite (gouvernement, patronat, syndicats) exigé par le patronat, car c’est à cause de la «tripartite que de nombreuses entreprises du secteur public marchand ont été cédées aux oligarques», que Saida Neghza est accusée de vouloir réhabiliter, alors qu’ils ont été écartés, selon l’APS, «grâce au hirak béni et, ensuite, grâce à la présidentielle de 2019». Personne n’a pourtant oublié les slogans du hirak au début de 2020 puis durant le premier semestre de 2021, quand les manifestants, exigeant «un Etat civil et non militaire», ont également scandé «généraux à la poubelle» ou «Tebboune mzawar jabouh laaskar»…

Saida Neghza a réagi sur sa page Facebook, quelques instants seulement après la publication dudit article anonyme, en dénonçant le tissu de mensonges et autres envolées propagandistes de l’APS.

«La plus grande erreur et la plus grande calamité est votre approche du mensonge, du populisme et de la falsification des faits et événements historiques», écrit-elle sur sa page Facebook à l’adresse de la rédaction de l’APS, se demandant au passage: «Quand j’étais la seule à affronter le système de corruption et le gang dirigeant en dehors des cadres légaux, comme Dieu, le peuple, l’histoire et les archives en témoignent, où était l’auteur de l’article, qui lui a donné l’ordre et incité à l’écrire, et où était son maître?».

Et de rappeler que l’agence algérienne de presse «est la propriété du peuple et de l’Etat, et non d’une poignée de personnes influentes qui utilisent et exploitent cette institution» pour porter atteinte à l’honneur de ceux qui osent «parler et dire NON lorsque la situation l’exige».

La présidente de la confédération patronale algérienne, également PDG du Groupe Soralcof (travaux publics et hydrauliques) ajoute que sa lettre à Tebboune est une alerte «face à la pénurie des denrées alimentaires de base et aux répercussions qui en résultent, ainsi que les moyens de faire face à la crise qui affecte la sécurité alimentaire». Elle n’écarte pas qu’une famine frappe l’Algérie si des mesures urgentes ne sont pas prises.

Pour rappel, Saida Neghza a mis en ligne, samedi dernier, une vidéo adressée à l’opinion algérienne dans laquelle elle affirme, en présence de son adjoint, que le patronat a décidé de parler, et qu’elle n’a pas peur de dire la vérité, car elle a le soutien unanime de la confédération patronale.

Reste à savoir quel clan au sein des généraux a activé Saida Neghza pour rendre publique sa lettre à Tebboune. Car il est inimaginable en Algérie que cette lettre émane d’une initiative personnelle. La riposte de l’APS est à la hauteur de la violence de la lutte qui oppose le clan présidentiel à celui des généraux, protagonistes de la décennie noire.



Par Mohammed Ould Boah
Le 11/09/2023 à 16h45