Le scandale a éclaté fin juillet dernier, mais, alors que les médias occidentaux préfèrent regarder ailleurs, n’y accordant que très peu d’intérêt, il ne cesse de prendre de l’ampleur. Au point que l’on parle désormais de «Watergate grec». Il s’agit des écoutes téléphoniques autorisées par le gouvernement grec et menées par les services de renseignements d’un pays ancré dans l’espace et les valeurs européennes contre leur propres concitoyens.
Tout a commencé le 26 juillet quand Nikos Androulakis, chef du parti socialiste d’opposition Pasok-Kinal et, qui plus est, eurodéputé, a révélé que son téléphone aurait été infiltré par le logiciel espion Predator. Les écoutes ont duré trois mois. Également ciblés, des journalistes grecs: Thanassis Kaoukakis, spécialisé en affaires financières, et un autre journaliste qui enquêtait sur la crise migratoire.
Predator est l’équivalent du désormais célèbre logiciel Pegasus dont les principaux médias occidentaux ont fait leurs choux gras, ciblant des pays comme le Maroc et oubliant que 22 organismes et 12 pays d’Europe en étaient clients.
Depuis, la présidente de la République hellénique, Katerina Sakellaropoulou, a demandé une enquête sur ces écoutes, et le Parlement a obtenu l’organisation d’un débat extraordinaire et l’avancement de la rentrée parlementaire. Le gouvernement conservateur de Kyriakos Mitsotakis s’en est trouvé éclaboussé. Après un long silence, celui-ci est passé aux aveux, lundi 8 août. «Ce qui s’est passé a pu être légal sur le papier, mais c’était une erreur. Je n’en avais pas connaissance et, bien sûr, je ne l’aurais jamais autorisé», a-t-il affirmé dans un message télévisé, regrettant l'utilisation du logiciel Predator. Une justification jugée irrecevable par ses adversaires, qui réclament sa démission et des élections anticipées.
Peu auparavant, le vendredi 5 août, le directeur général du renseignement intérieur (EYP), Panagiotis Kontoleon, ainsi que le secrétaire général du Premier ministre avaient présenté leur démission.
Quand espionner les musulmans devient «halal»L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais c’est compter sans l’entrée en scène de l'ancien ministre de la Justice, député du parti de la Nouvelle démocratie (ND) et actuel vice-président du Parlement grec, Charalambos Athanasiou, qui a récemment tenté de justifier la possibilité de surveiller un député… en prenant prétexte sur les parlementaires grecs de confession musulmane. Athanasiou s’exprimait le mercredi 10 août dans une interview diffusée sur la chaîne Stonisi. Pour lui, «les élus ayant une orientation religieuse différente de l’orthodoxe, par exemple musulmane, doivent être surveillés de crainte qu’ils donnent des informations au pays voisin (la Turquie, NDLR)».
Un nouveau tollé est né juste après et les deux principaux partis de l’opposition, Syriza et Pasok, sont immédiatement montés au créneau. Dans son communiqué, Syriza demande au Premier ministre grec le limogeage immédiat d'Athanasiou, sinon «il prouvera qu’il est lui-même l’auteur de telles déclarations inacceptables».
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Pasok a, de son côté, demandé à ce qu’Athanasiou soit déféré devant les organes disciplinaires compétents du Parlement grec. Dans un communiqué, ce parti indique que cette déclaration plonge le pays dans l’intolérance et crée une grave fracture au niveau national, car elle montre le député minoritaire comme potentiellement capable et, en tout cas, soupçonné d’avoir commis des actes relevant de la haute trahison.
Député musulman du même Pasok, Ilham Ahmed condamne également ces propos et parle d’une position publique qui relance la théorie de l'ennemi intérieur, c’est-à-dire le musulman. Comme lui, la plupart des personnalités politiques grecques ont qualifié l’attitude de l'ex-ministre de la Justice d'inacceptable et condamnable, surtout qu'elle nuit gravement à l'image de la Grèce sur le plan international.
Précisons que Predator est commercialisé par la société Cytrox, basée à Skopje, en Macédoine du Nord, en Europe donc. Cette start-up a été rachetée en 2019 par un ancien officier israélien spécialisé dans le cyber-espionnage, Tal Dilian, et dispose désormais de bureaux en Israël et en Hongrie. Cytrox fait partie de toute une galaxie de sociétés, Intellexa, qui propose ses services aux gouvernements. Son objectif est de faire oublier le groupe israélien NSO, dont le logiciel Pegasus est devenu un peu trop célèbre.