Tout commence le 16 avril, sur les ondes de la station de radio belge Bel RTL. Au micro, Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement réformateur (MR), parti politique belge de centre droit à droite, d’inspiration libérale et conservatrice. Invité de la matinale, il est revenu sur un sujet qui soulève de vives réactions en Belgique depuis quelques jours: les allocations chômage. Selon une récente réforme jugée «historique» et qualifiée de «coup de maître» par le Premier ministre nationaliste flamand, Bart De Wever, toute personne au chômage depuis plus de deux ans au 1er janvier 2026 perdra son allocation. Sont concernées plus de 100.000 personnes visées par cette réforme, qui a pour principal but de limiter dans le temps les allocations chômage.
Au micro de Bel RTL, Georges-Louis Bouchez a enfoncé le clou en appelant à repenser le système des allocations familiales, notamment à partir du 4ème enfant, et en a profité pour aborder le sujet de la fraude fiscale qui profite à des citoyens percevant ces allocations. Pour illustrer ses propos, le patron du MR a littéralement mis le feu aux poudres en déclarant: «Certaines personnes ont des propriétés à l’étranger. Il existe des gens qui ont des maisons au Maroc et qui touchent des allocations sociales en Belgique.»
Les députés de gauche belgo-marocains vent debout contre un discours jugé raciste
Des propos qui ont profondément divisé la Toile belge et fait sortir de leurs gonds les élus belgo-marocains du Parti socialiste belge (PS). «C’est du racisme, c’est clair, parce qu’il stigmatise la communauté marocaine», a ainsi fustigé Ridouane Chahid, député fédéral socialiste et ancien bourgmestre d’Evere qui accuse le chef du MR de courir «derrière l’extrême droite» et de chercher «les voix des électeurs racistes».
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Cité par le journal La Libre Belgique, un socialiste belgo-marocain explique de son côté que «ces maisons dont on parle ont souvent été construites dans les années 70-80, par la première génération qui a émigré en Belgique. Ces gens ont travaillé dur toute leur vie pour que leurs enfants puissent hériter de ce patrimoine. Quand on parle négativement de ces biens à leurs enfants, on s’attaque à une part très intime de leur identité».
Hassan Rahali, député du PS et président du conseil communal de Molenbeek, s’est quant à lui emparé de TikTok en postant des vidéos dans lesquelles il dénonce des propos «racistes», et appelle à des excuses publiques du leader MR et à sa démission.
L’élu a également mis en ligne une pétition dans laquelle il interpelle les autorités marocaines: «En tant que partenaires historiques de la Belgique et protectrices morales de leurs ressortissants à l’étranger, elles doivent intervenir fermement auprès des instances belges pour dénoncer ces propos et faire en sorte que de telles sorties discriminatoires ne soient plus tolérées dans le débat public. Le respect mutuel entre États passe aussi par la défense de la dignité de leurs citoyens, où qu’ils soient».
Dans une vidéo où il s’adresse en arabe à ses followers, postée sur TikTok mais supprimée depuis, le socialiste, rapporte La Libre Belgique, avait également enjoint «le cabinet royal (marocain) de s’emparer de ce sujet» et en appelait aussi «au ministre des Affaires étrangères marocain». «Il faut parler pour que plus personne n’ose s’attaquer aux Marocains, nous ne sommes pas une serpillière», déclarait-il selon le média belge.
La droite campe sur ses positions et les justifie
Des accusations que Georges-Louis Bouchez rejette en bloc. «Il n’y a pas de jugement de valeur envers le Maroc. Ce sont des faits», a-t-il réagi auprès de l’agence de presse Belga. Ainsi, poursuit le leader du MR, l’existence de telles fraudes a été clairement démontrée par une enquête de l’administration flamande de 2024, menée au sein des sociétés de logement social en Flandre. «Sur 941 enquêtes, les sociétés de logement avaient découvert dans 482 cas que le bénéficiaire du logement jouissait d’une propriété à l’étranger (essentiellement en Turquie, au Maroc et en Italie, NDLR), soit un peu plus de la moitié», souligne-t-il.
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Et de rappeler que la Belgique et le Maroc ont signé un accord d’échange d’informations en la matière pour éviter les abus sociaux, ce qui, souligne le libéral en donnant son avis sur la chose, «est bien la preuve qu’il y a un problème». Enfin, conclut-il en balayant d’un revers de la main tout racisme de sa part et en exigeant des excuses du PS, à force de «traiter tout le temps tout ce qui ne lui plaît pas de raciste, le PS va devenir l’idiot utile de l’extrême droite, car ce mot n’aura plus de valeur».
Les députés belgo-marocains du MR pris pour cible sur les réseaux sociaux
Mais outre la stigmatisation de la communauté belgo-marocaine, dénoncée par le parti socialiste belge, les premières victimes des propos du leader du MR font en réalité partie de son propre camp. Pris à parti sur les réseaux sociaux, les députés d’origine marocaine affiliés à ce parti de droite ont fait l’objet d’une campagne diffamatoire.
Amine El Boujdaini, Loubna Azghoud, Ismaïl Luahabi et Youssef Handichi sont ainsi au cœur de publications outrancières et de montages photo dans lesquels ils sont traités de «lâches sans dignité». Réagissant à cette campagne, la députée Loubna Azghoud s’insurge: «Ramener quelqu’un sans cesse à son origine, c’est du racisme. Cette campagne de dénigrement est ignoble… On met une cible dans notre dos en nous jetant en pâture dans des groupes Facebook de 15.000 à 20.000 membres. Moi, je refuse d’être mise dans une seule case: je suis une élue belge, née en Belgique, féministe, libérale et universaliste. Cette campagne qui nous ramène sans cesse uniquement à notre origine, c’est tout le contraire de la lutte antiraciste. Comme si, quand on était d’origine marocaine, on ne pouvait être que de gauche.»
Accusé d’être derrière cette offensive, le PS assure «ne pas être à la manœuvre et ne jouer aucun rôle dans cette campagne sur les réseaux sociaux». Pourtant, sa députée Naima Belkhatir n’a pas manqué d’enfoncer le clou dans une vidéo où elle commente la campagne en interpellant les quatre élus. «Vous n’avez pas un mot à dire? Vous n’avez pas des commentaires à faire? Ou bien, comme dit le proverbe, ‘qui ne dit mot consent’? Je vous plains quand vous allez rencontrer la communauté marocaine à Bruxelles. Qu’allez-vous leur dire? Ce n’est pas nous, c’est notre président? Qu’est-ce que vous foutez dans un parti de droite qui passe son temps à discriminer, à stigmatiser les gens d’une certaine communauté dont vous êtes issus? Vous avez oublié d’où vous venez? Avez-vous oublié qui vous êtes?», déclare-t-elle dans cette vidéo relayée sur les réseaux sociaux.
Mais le mal est fait et bien que contestant son implication dans cette cabale, le PS fait l’objet de vives réactions, même en hors des rangs du MR. À ce sujet, la députée d’origine marocaine Sofia Bennani, membre du parti Les Engagés, a ainsi estimé que «les visuels propagés par certains élus socialistes sur les réseaux sociaux sont stigmatisants. Cela renvoie les élus MR à leurs origines, sur lesquelles ils doivent apparemment rendre des comptes alors qu’ils sont belges… Ce type de campagne crée des sous-catégories de population liées aux origines. Ce n’est pas notre conception du vivre ensemble», dénonce-t-elle.
Toutefois, ajoute la députée bruxelloise, cela n’exonère pas le président du MR de sa responsabilité. «Il se trompe parce qu’il parle du chômage qui est une assurance sociale, et qui n’interdit pas d’être propriétaire», en dénonçant la formulation de ses propos jugée «stigmatisante», car il ne parle «que du Maroc».
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