Face aux dégâts et aux carnages provoqués par les bombardements menés par Tsahal à Gaza, suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, beaucoup se demandent, et à juste titre, quelle est la portée militaire d’une telle démarche. Ou, pour parler en langage militaire, quel est le but final recherché d’une telle approche?
Est-ce de la sauvagerie pure et simple? Est-ce simplement une vengeance d’Etat? Ou bien cela s’inscrit-il dans le cadre d’une doctrine militaire bien articulée?
Laissons le soin aux youtubeurs du dimanche de développer les deux premières hypothèses. Quant à la troisième, celle relative à l’existence d’une doctrine, elle est tout naturellement la plus pertinente.
Car en effet, deux doctrines fortement complémentaires structurent l’action de l’armée israélienne, et plus particulièrement dans le cadre de l’opération militaire actuelle dans la bande de Gaza.
La première est une directive secrète portant le nom de directive ou de protocole «Hannibal». Élaborée en 1986 par trois officiers supérieurs de l’armée israélienne, en pleine guerre civile libanaise, cette dernière pourrait se résumer comme suit:
Si des soldats israéliens sont capturés par l’ennemi, la priorité de l’armée est certes de les libérer si cela est possible, mais la priorité première demeure de mettre fin à la prise d’otages, même si l’opération se conclut par la blessure, voire la mort des soldats capturés.
Leur survie est ainsi collatérale, puisque le but final recherché est d’ôter à la capture ou la prise d’otage de soldats israéliens toute valeur stratégique. Par conséquent, non seulement Israël ne négociera pas, mais il sera même prêt à sacrifier ses soldats capturés, en tuant au passage tous les ravisseurs.
Pour certains experts, dont Jacques Baud, spécialiste du renseignement et ancien colonel au sein de l’armée suisse, c’est l’application de ce protocole par Tsahal qui explique en partie le nombre élevé de morts israéliens durant l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre dernier. Certes, les miliciens du Hamas ont sans aucun doute tué et pris en otage bon nombre d’Israéliens, civils comme militaires. Mais il n’est pas exclu que les hélicoptères d’attaque de Tsahal aient aussi commis un carnage, ciblant indistinctement les ravisseurs et les otages, conformément au protocole Hannibal. Cette hypothèse est partiellement corroborée par la révision opérée par les autorités israéliennes du nombre de morts, qui est passé de 1.400 à 1.200 morts.
En effet, pour justifier cette révision à la baisse, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien, Lior Haiat, a annoncé que «beaucoup de corps qui n’avaient pas été identifiés» étaient en réalité ceux de miliciens du Hamas ayant participé à l’attaque.
Revenons maintenant à la bande de Gaza, et aux bombardements meurtriers, et en apparence inefficaces sur le plan militaire, qui ont déjà provoqué plus de 13.000 morts.
Ces derniers s’inscrivent dans le cadre d’une autre doctrine, plus récente, qui porte le nom de «Dahiya». Élaborée par le général israélien et ancien ministre de Netanyahou, Gadi Eizenkot, en 2006, soit en plein conflit armé contre le Hezbollah, cette doctrine consiste à ne plus établir de distinction entre cibles civiles et militaires, dès lors qu’un bâtiment ou lieu civil est utilisé pour lancer une attaque contre Israël, ou pour abriter un ennemi. De même, l’attaque se doit d’être volontairement asymétrique et disproportionnée.
Ces mesures vont factuellement à l’encontre du droit de la guerre et visent en premier lieu à créer un sentiment de terreur et de tétanie au sein des populations civiles, de nature à les désolidariser des combattants. Dans le cas contraire, elles seront considérées comme indirectement combattantes, et requalifiées en cibles militaires légitimes.
Cela explique la frappe menée contre le camp de réfugiés de Jabaliyah, au nord de la bande Gaza, qui a fait plus de 80 morts, dont beaucoup enfants. La cible de l’armée israélienne? Un haut commandant du Hamas. Et les 80 civils morts? Ce ne sont plus des civils du point de vue de Tsahal, dès lors que parmi eux se trouve au moins un combattant.
Avec ces deux doctrines, nous avons là tous les ingrédients d’une approche militaire fondée sur l’idée de guerre totale et qui n’est malheureusement pas prête de s’arrêter. Car il ne s’agit là ni de dégâts collatéraux, ni de bévues, ni même de crimes de guerre, mais d’une doctrine méthodique et assumée qui risque à terme de provoquer, par mimétisme, l’adoption de cette même conception de guerre totale par tous les antagonistes d’Israël dans la région. Et ce, au détriment des différentes populations de la région et de la stabilité du Moyen-Orient, et par extension du monde.