À moins de disposer d’une lampe magique pour assécher toute la Méditerranée et nous faire voyager en Espagne en trekking, il est impossible de dessaler 1,3 milliard de d’eau par jour comme l’a annoncé, avec beaucoup d’assurance, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, le mardi 19 septembre, dans son discours à la 78ème Assemblée générale de l’ONU à New York.
En effet, Tebboune a déclaré, sans sourciller et en marquant une pause pour bien peser ses mots, que son pays allait produire, d’ici la fin de l’année prochaine, pas moins de 1,3 milliard de m3 d’eau potable par jour grâce au dessalement de l’eau de mer. On retiendra, pour la forme, la gêne apparente du chef d’État algérien qui s’attendait à des applaudissements. Il n’en fut rien.
Il faut dire qu’il n’y avait pas grand monde pour l’écouter et encore moins pour réagir à ce qui ressort déjà comme le coup de bluff de l’année, voire du siècle. Quant au fond, il n’y a pas encore de mots dans le dictionnaire pour qualifier cette énième, mais de loin la plus épatante «tebbounerie».
Un délire de cet acabit appelant un peu de raison et un zeste de fact-checking, nous nous sommes amusés à mesurer à quoi pourraient bien ressembler 1,3 milliard de m3 d’eau potable produite par jour et, donc, 474,5 milliards de m3 par an. Quelques calculs et de simples recherches suffisent pour mettre à nu l’impéritie du président de l’État voisin.
Tebboune et ses conseillers ne le savent sans doute pas, mais en ordre de grandeur, 474,5 milliards de m3 d’eau, c’est environ 3 fois la Mer Morte, 4 fois le lac du Nicaragua et l’équivalent du lac de Khövsgöl, le plus profond lac de Mongolie.
11 fois plus que la production mondiale par le génie d’un seul homme
Il y a mieux. Par son annonce, le président algérien affirme pouvoir produire seul plus de 11 fois la production mondiale d’eau dessalée, et ce, avant fin 2024. Selon les statistiques de 2022 de l’Association internationale de désalinisation (International Desalination Association, IDA), 22.800 usines de dessalement sont opérationnelles à travers le globe. Elles fournissent environ 110 millions de m3 d’eau douce par jour, soit près de 40,15 milliards de m3 chaque année. La question est comment l’Algérie seule peut, en un an, multiplier la mise, et par 15? Génie sait faire…
Si les chiffres ne sont décidément pas le fort de Abdelmadjid Tebboune, loin s’en faut, le bon sens semble également, et méchamment, lui manquer. Avec 1,3 milliard de m3 par jour, Tebboune veut produire en dix jours l’équivalent de la consommation annuelle en eau de l’Algérie, estimée à 12,9 milliards de m3. Que faire alors de l’excédent? Mystère.
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Admettons qu’un État ait besoin ou soit capable de dessaler une telle quantité d’eau. Combien, par tous les diables, faudra-t-il construire d’unités industrielles pour relever un défi digne des plus grands miracles? Pour l’heure, et officiellement, 11 usines de dessalement sont déjà opérationnelles en Algérie, avec une capacité de production de 2,11 millions de mètres cubes par jour. Il reste donc à assurer la production journalière de (seulement) 1,29 milliard de mètres cubes.
Après moi, le déluge… littéralement
À ce jour, la plus grande usine de dessalement d’eau de mer au monde est celle de Ras Al-Khair en Arabie Saoudite. Cette unité produit 1,1 million de m3 d’eau douce par jour, soit environ 401,5 millions de m3 par an. Pour produire le déluge promis par le président algérien, il faudra alors construire pas moins de 1.545 usines de la taille de celle de Ras Al-Khair. D’ici fin 2024, ordre du président.
On serait ainsi tenté d’accorder à Tebboune le bénéfice du lapsus ou de l’égarement (encore un), mais l’éclatante assurance affichée par le président algérien quand il déclamait son discours ne laisse aucun doute. Abdelmadjid Tebboune sait ce qu’il dit et ne peut pas s’être trompé en lisant un texte rédigé à l’avance et qui a dû passer par plusieurs filtres, corrections, vérifications et validations tant par ses équipes que par ses conseillers.
Ajoutons que Tebboune n’en est pas à son premier rêve éveillé. Le 5 août dernier, il a avancé à peu près le même chiffre que celui évoqué devant l’Assemblée générale de l’ONU. Il avait affirmé, lors d’une entrevue avec les médias locaux, que le dessalement de l’eau de mer fournira à son pays une production de 1,4 milliard de m3 d’eau potable par jour. Le hic, c’est que la machine médiatique du régime d’Alger y a cru et s’est illico presto emballée à coups de bandes-annonces et de commentaires on ne peut plus laudateurs quant à la «grandeur de la nouvelle Algérie».
Quand la télévision publique algérienne a saisi l’arnaque et fait disparaître la précision «par jour», tout en gardant le chiffre rond de 1,4 milliard de m3, il était déjà trop tard. Qu’à cela ne tienne, Tebboune a réédité l’exploit à l’ONU et, en matière de chiffres hallucinogènes, qui peut le plus peut le moins.