La diplomatie euro-maghrébine fait sa rentrée

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueLancement du pacte pour la Méditerranée, reprise des commissions mixtes avec le Maroc et l’Algérie en prévision d’un semestre chargé, la délégation Maghreb du Parlement Européen se réunissait cette semaine à Strasbourg en marge de la session plénière de septembre. Impressions de rentrée.

Le 13/09/2025 à 10h00

Près d’un an après sa réunion constitutive, la délégation parlementaire UE-Maghreb se dote enfin d’un bureau! Onze mois de présidence par un seul député, sur les trois que prévoient les statuts du Parlement, parce qu’un règlement intérieur obligeant un «équilibre entre les genres» avait été mis à mal en 2024 par un «trop plein» de candidatures masculines. D’où un gel des votes en octobre dernier– dans l’attente d’un avis juridique officiel sur le sujet– dont avait fait les frais l’ancien ministre de l’Intérieur sévillan du Partido Popular, Zoido Alvarez: la procédure de son élection au poste de premier vice-président avait été suspendue.

Tout cela pour? Aboutir en septembre 2025 à l’élection de deux vice-présidents masculins, le même eurodéputé espagnol du PPE conforté à la première vice-présidence, et le socialiste français Jouvet héritant du deuxième poste. Un bureau finalement complet donc, avec le trio des pays du Sud– Italie/France/Espagne– comme il est de coutume dans cette délégation. Mais une inédite influence des Italiens du groupe ECR, incarnée par Ruggero Razza qui non seulement a régné seul pendant un an sur les travaux de la délégation, mais qui surtout, préside cette assemblée avec une feuille de route connue. Ce proche de Giorgia Meloni sert les objectifs ambitieux de la présidente du Conseil italien sur la rive Sud de la Méditerranée.

Ruggero Razza, avocat élu à Milan, publie cette même semaine un essai géopolitique sur «Il piano Mattei– Come Giorgia Meloni ha riportato l’Europa nel Mediterraneo globale». Il y détaille la stratégie qui vise à positionner l’Italie en leader européen dans le bassin méditerranéen, portée par un contexte favorable, tant à l’échelle de l’UE avec le nouveau Pacte pour la Méditerranée, qu’au niveau du voisinage, où l’Italie profite de l’affaiblissement des autres pays latins.

Avec un Plan Mattei vendu comme un nouveau modèle de coopération– faits de partenariats économiques et énergétiques générateurs d’opportunités pour Rome et ses partenaires, Alger en tête– qui est aussi un Plan Migration, dans le droit fil des promesses de campagne de Meloni. Le sicilien Razza, qui partage les obsessions et la diplomatie migratoire du chef du gouvernement italien– et n’hésite pas à relier la date du 3 octobre, jour de son élection à la présidence de la délégation Maghreb à un «fait sanglant», la tragédie de Lampedusa du 3 octobre 2013, dans laquelle 400 personnes avaient perdu la vie, défend le concept du «droit à ne pas émigrer», pour justifier aussi des politiques italiennes vers la coopération et le développement des pays d’origine aux fins de réduire les migrations forcées.

Dans les prochaines semaines, Razza conduira une mission parlementaire au Maroc; mais il doit d’abord accueillir à Bruxelles la première commission mixte de la législature, une délégation de parlementaires algériens, le 2 octobre prochain. Dans le contexte pourtant très dégradé des relations UE-Algérie, et d’une violation des engagements pris envers les Européens sur les deux piliers de leurs accords, droits de l’homme et échanges commerciaux, qu’attendre de la diplomatie parlementaire européenne? Des actes? «Pourquoi devrions-nous accompagner le développement économique et social du pays alors qu’ il nous piétine?», résume brutalement un député français du PPE, lors d’une interpellation à la Commission européenne qui vaut tout autant pour ses collègues…

Des mots? Ceux qu’on espérait du nouveau vice-président Jouvet, au sujet du sort de ses deux compatriotes otages d’Alger, le jour de son élection qui était aussi le 300ème jour d’incarcération de Boualem Sansal, ne sont pas venus. Seuls deux autres eurodéputés, français, ont évoqué le destin de l’écrivain lors d’une session où trop peu d’élus étaient disposés à faire le procès d’Alger.

On aura compris que par sa composition, son agenda et ses objectifs, la délégation Maghreb de la Xème mandature n’est pas le cénacle idoine pour porter un cas Sansal que ses soutiens doivent pourtant impérativement préserver du risque majeur d’effacement dans les débats politiques européens. Que la campagne du Prix Sakharov 2025, annoncée également cette semaine, y pourvoie!

Par Florence Kuntz
Le 13/09/2025 à 10h00