À la faveur des récents soubresauts de la vie politique française, bien des espoirs ont été nourris et autant d’inquiétudes ravivées sur la rive sud de la Méditerranée. Mais ces évolutions pourraient-elles réellement contribuer à remodeler la perception française des enjeux maghrébins? La question repose sur l’idée qu’une position politique n’est jamais figée: elle reflète, par essence, la lecture conjoncturelle d’une équipe gouvernementale, elle-même appelée à évoluer au gré des changements de leadership.
Ce mélange d’angoisse et d’espoir, qui a gagné les capitales du Maghreb à l’occasion de la crise politique française, a été largement amplifié par les réseaux sociaux. Ces derniers excellent à transformer une simple brise en tornade et à donner l’illusion d’un basculement imminent, là où la réalité traduit une continuité.
Le cœur battant de la relation entre la France et le Maghreb reste la reconnaissance par Paris de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Le tournant décisif s’est produit lorsque la diplomatie française est passée d’un simple soutien au plan d’autonomie proposé par Rabat à une reconnaissance explicite et sans équivoque de la marocanité du Sahara. Ce basculement d’une posture ambiguë à une position claire avait déclenché l’ire du régime algérien. Depuis, toutes les crises, même mineures, qui secouent la relation franco-algérienne ne sont en réalité que les répliques d’une onde de choc diplomatique majeure: la reconnaissance française du Sahara marocain.
Le chantage migratoire et les différents bras de fer politiques n’ayant pas réussi à infléchir la nouvelle lecture française des enjeux maghrébins, le régime algérien a vu son dernier espoir se réduire à un éventuel changement de pouvoir à Paris. Cette stratégie reproduit la même grille de lecture que celle appliquée à l’expérience espagnole: lorsque le gouvernement de Pedro Sánchez a reconnu la souveraineté du Maroc sur son Sahara, Alger avait provoqué une profonde crise diplomatique avec Madrid, misant sur l’idée qu’un retour de la droite au pouvoir entraînerait automatiquement une remise en cause de cette reconnaissance et un regain de sympathie envers l’aventure séparatiste.
«Le régime algérien s’est accroché à l’espoir de voir Paris infléchir sa position, soit sous l’effet de ses multiples pressions, soit à la faveur d’un changement de gouvernance.»
— Mustapha Tossa
À l’examen du bruit médiatique algérien entourant la crise politique française, il était facile de discerner des attentes et des espoirs récurrents. Pour Alger, une participation d’une partie de la gauche à la nouvelle gouvernance française aurait eu pour effet, sinon de modifier la position de Paris, du moins d’atténuer l’ampleur de son enthousiasme à l’égard du Maroc.
Ces attentes algériennes ne reposent sur aucune logique politique. Lorsque la France a décidé de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara, ce n’était ni un geste impulsif ni une réaction d’humeur passagère. Cette décision résultait d’une réflexion approfondie sur ses propres intérêts dans une région hautement stratégique. L’évaluation rationnelle de ces enjeux conduisait inévitablement Paris à s’aligner aux côtés du Maroc.
Le régime algérien n’a pas su intégrer cette nouvelle réalité politique et s’est accroché à l’espoir de voir Paris infléchir sa position, soit sous l’effet de ses multiples pressions, soit à la faveur d’un changement de gouvernance. Si, dans les différentes facettes de la crise franco-algérienne, la question du Sahara marocain n’apparaît plus explicitement dans le registre des reproches adressés à Paris, elle demeure néanmoins la matrice qui structure l’ensemble des frustrations algériennes. Toute la stratégie diplomatique d’Alger à l’égard de la France vise inlassablement à obtenir un recul sur ce dossier central.
Ce qui paraît aujourd’hui d’une grande évidence et au grand désespoir du régime algérien, c’est que la position française sur les enjeux du Maghreb est irréversible. Même dans l’hypothèse rêvée par Alger, où une personnalité politique française connue pour son tropisme algérien accéderait aux plus hautes responsabilités de l’exécutif, la vision de la France quant à la configuration géopolitique du Maghreb ne saurait fondamentalement changer.
Même dans l’hypothèse la plus extrême – et aujourd’hui hautement improbable – où le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, accéderait à la magistrature suprême, aucun revirement de la position française sur le Sahara n’est envisageable. Si l’extrême gauche relaie régulièrement la propagande algérienne en France, ce n’est pas par adhésion à un prétendu modèle démocratique algérien, mais parce que cette crise constitue un angle d’attaque opportun pour tenter d’affaiblir la droite, l’extrême droite et Emmanuel Macron, sur un dossier particulièrement sensible: la relation franco-algérienne.
L’une des bizarreries de la diplomatie algérienne réside dans ce grand écart apparent: afficher une proximité chaleureuse avec l’extrême droite italienne incarnée par Giorgia Meloni, tout en entretenant une hostilité exacerbée à l’égard de l’extrême droite française représentée par Marine Le Pen.





