L’Algérie membre non-permanent du Conseil de sécurité: un non-événement qualifié de «succès diplomatique» de Tebboune

Le Conseil de sécurité de l'ONU.

Le Conseil de sécurité de l'ONU.

Alors que seuls deux pays, l’Algérie et la Sierra Leone, étaient en lice pour pourvoir les deux sièges de membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations unies réservés à l’Afrique pour la période 2024-2025, la présidence algérienne a transformé son entrée au sein de cette instance en un «succès diplomatique», réalisé par le président Abdelmadjid Tebboune. Ladite élection traduirait, selon la présidence algérienne, «la considération et l’estime dont bénéficie le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, de la part de la communauté internationale»! Bienvenue au «pays du monde à l’envers».

Le 07/06/2023 à 09h58

L’Algérie a été élue, le mardi 6 juin, pour siéger au Conseil de sécurité de l’ONU comme membre non permanent pour la période allant du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2025. C’est la quatrième fois de son histoire (1968-1969, 1988-1989 et 2004-2005) que le pays devient membre non permanent du Conseil de sécurité. Mais, cette fois-ci, à en juger par le communiqué tonitruant de la présidence algérienne, on a l’impression qu’elle a remporté le Graal, réalisé un exploit ou battu un adversaire de poids, alors qu’il n’y avait aucun concurrent en face.

«En reconnaissance à son rôle pivot dans sa région, l’Algérie a été élue, au premier tour, avec une écrasante majorité des voix, par l’Assemblée générale des Nations unies, membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, pour un mandat de deux ans à compter du 1er janvier 2024, à l’issue d’un vote à bulletin secret des 193 États membres de l’ONU», tonne le communiqué kilométrique diffusé par la Mouradia.

Autosatisfaction et autocongratulation

Par «premier tour» et «majorité écrasante», ce communiqué laisse croire que l’Algérie a battu à plates coutures son (ou ses) adversaire(s), alors qu’aucun concurrent africain n’était en lice, à part la Sierra Leone, élue parallèlement, avec un meilleur score que l’Algérie, pour pourvoir le 2ème siège réservé à l’Afrique. Ce pays de l’Afrique de l’Ouest a été en effet élu par 188 voix sur 193. Ce «succès» de l’Algérie contre des moulins à vent est attribué à une prétendue aura internationale de Tebboune. En effet le communiqué d’autosatisfaction de la présidence précise que «cette élection, qui est à inscrire à l’actif de la politique étrangère de notre pays, traduit la considération et l’estime dont bénéficie le président de la République Abdelmadjid Tebboune de la part de la communauté internationale et reflète sa reconnaissance pour sa contribution en faveur de la paix et de la sécurité internationales». Et bis repetita.

«Ce succès diplomatique confirme bien le retour de l’Algérie nouvelle sur la scène internationale et entérine la vision et approche du président de la République pour la préservation de la paix et de la sécurité dans le monde, fondées sur la coexistence pacifique, le règlement pacifique des différends et la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays», note le communiqué. Ce dernier document a au moins le mérite d’informer les Algériens que c’est désormais Tebboune qui est le véritable ministre des Affaires étrangères, après son récent coup de pied dans la fourmilière qui a renvoyé successivement et sans ménagement le «diplomate chevronné» Ramtane Lamamra, et son secrétaire général, le «faux diplomate» Amar Belani.

En effet, précise le communiqué de la Mouradia, la «politique étrangère bénéficie aujourd’hui d’un cap et d’une vision qu’elle doit au président Abdelmadjid Tebboune. Le chef de l’État l’a également dotée d’un projet global et cohérent qui s’attache indissolublement à la défense des intérêts nationaux sous toutes leurs formes et en toutes circonstances». Il faut rappeler que pour théâtraliser son entrée au Conseil de sécurité pour les deux prochaines années, Alger a envoyé son ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf séjourner pendant plusieurs jours à New York, en vue de faire semblant de mener une campagne acharnée pour la candidature de son pays, alors qu’il est déjà assuré de l’entérinement de son entrée comme figurant au Conseil de sécurité.

En effet, la procédure d’élection des nouveaux membres du CS étant obligatoire, même sans concurrence, au niveau de l’Assemblée générale de l’ONU, dix membres non permanents sont élus pour deux ans, renouvelés pour moitié chaque année, en veillant à ce que toutes les régions géographiques du monde soient représentées. C’est ainsi que, cette année, quatre États sont passés par le vote, alors qu’ils n’affrontaient aucun concurrent pour leur zone.

Seul un 5ème État a été élu après avoir écrasé son challenger. Dans le détail, pour le siège des Caraïbes-Amérique latine, le petit État du Guyana, avec ses 200.000 km2 et ses 805.000 habitants, a récolté 191 voix sur 193, suivi par un autre petit État d’Afrique de l’Ouest, la Sierra Leone, avec 188 voix, de l’Algérie et ses 184 voix, puis la Corée du Sud (Asie-Pacifique) avec 180 voix. Cela n’a rien d’un plébiscite ni d’une majorité écrasante, car il s’agissait d’une élection formelle, puisque sans concurrence.

Une «victoire» par défaut

Au contraire, la seule vraie élection est celle qui a opposé la Slovénie et la Biélorussie pour s’attribuer le siège réservé aux États d’Europe orientale. Finalement, c’est la Slovénie qui a obtenu 153 voix, contre 38 seulement pour le principal allié de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Ce vote-sanction contre Minsk a fait dire à Louis Charbonneau, directeur du plaidoyer auprès des Nations unies à Human Rights Watch, que «le vote de l’Assemblée générale aujourd’hui montre pourquoi une compétition pour les élections à l’ONU est essentielle.

Les États membres de l’ONU ont sans aucun doute décidé que les graves violations des droits humains du Bélarus chez lui et les tentatives pour étouffer les atrocités russes en Ukraine le disqualifient pour servir au Conseil de sécurité, organe crucial pour la garantie des droits humains». C’est dire que si un autre concurrent africain s’était dressé face à l’Algérie, cette dernière aurait été recalée aux portes du Conseil de sécurité sur la base des nombreux et récents rapports de la Commission onusienne des droits de l’Homme, y faisant état de flagrantes et graves violations de droits humains et d’atteinte à la liberté d’expression.

Reste maintenant à savoir comment l’Algérie va se comporter lors des examens par le Conseil de sécurité du dossier du Sahara. Va-t-elle se cacher derrière son faux statut d’«observateur» dans le conflit du Sahara en vue de participer, négativement et de façon minoritaire, au vote annuel des résolutions du Conseil de sécurité?

Se préparer à avaler des couleuvres

Ou bien le Conseil de sécurité, dont l’Envoyé spécial au Sahara prône un retour aux tables rondes réunissant l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et le Polisario, va-t-il considérer l’Algérie comme partie prenante au conflit et lui interdire le vote des résolutions ad hoc? En effet, selon le Conseil de sécurité, «tout État, membre ou non des Nations unies, s’il est partie à un différend examiné par le Conseil de sécurité, peut être convié à participer, mais sans droit de vote, aux discussions relatives à ce différend».

En tout état de cause, l’Algérie, qui a officiellement dénoncé ces deux dernières années les résolutions du Conseil de sécurité sur le Sahara, va devoir se préparer à avaler des couleuvres, au mois d’octobre, si elle ne veut pas accentuer son isolement. Mais au «pays du monde à l’envers», selon l’expression de Jean-Louis Levet et Paul Tolila, auteur de l’excellent livre «Le Mal algérien», il faut s’attendre à tout d’un régime structuré comme un système et non pas comme un État.

Le communiqué d’autosatisfaction de la présidence algérienne est à appréhender sous un angle clinique. Il nous dit à quel point Tebboune est orphelin de succès, lui qui a essuyé des jets d’œufs dans les rues de Lisbonne et qui n’arrive à concrétiser aucune de ses visites d’État annoncées, que ce soit à Paris ou à Moscou. Alors s’autocongratuler avec un communiqué-fleuve est tout ce qui lui reste quand les gifles pleuvent de toutes parts.

L’Algérie n’est pas un pays, mais un Système. C’est ce que décrivent les experts français Jean-Louis Levet et Paul Tolila, mandatés dans le cadre d’une mission officielle qui a duré cinq ans et demi en Algérie, dans le livre événement «Le Mal algérien». Cet ouvrage, qui dépasse dans l’analyse et la description toutes les publications qui ont diagnostiqué les pathologies du régime algérien, devrait constituer le livre de chevet de tous ceux qui s’intéressent au voisin de l’est.

Par Mohammed Ould Boah
Le 07/06/2023 à 09h58