C’est la grande sensation politique du moment. Et si la profonde crise diplomatique entre la France et l’Algérie était sur le point de connaître son dénouement? La raison de cet enthousiasme: la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, considérée par Paris comme un préambule indispensable à toute embellie politique avec Alger. Sansal était l’otage iconique du régime algérien, son précieux levier de pression, l’incarnation de sa vengeance et de son amertume à l’égard de la France.
Beaucoup a déjà été écrit sur les conditions de sa libération, avec un focus excessif sur la médiation allemande qui a permis de sortir Sansal de prison. Cette mise en avant du rôle de Berlin sert parfaitement le narratif du régime algérien. Il est de notoriété publique qu’Alger ne pouvait livrer Sansal directement à Paris sans courir le risque d’apparaître comme un pays soumis à la volonté de l’ex-puissance coloniale. Défier la France fait toujours partie du carburant idéologique du régime algérien. Dans le cas Sansal, Abdelmadjid Tebboune lui-même était allé très loin dans son instrumentalisation pour afficher une forme de défi et de virilité politique à l’égard de Paris, s’assurant ainsi une part de cette légitimité politique qui lui fait tant défaut.
Emmanuel Macron avait parfaitement compris ce piège, cette corde de pendu autour de laquelle le régime algérien s’est lui-même enroulé. Le laisser s’y étrangler revenait à l’isoler davantage, au risque de provoquer des craquements internes, voire une chute inévitable. Ce qui, aujourd’hui, n’est dans l’intérêt sécuritaire de personne. Une Algérie déstabilisée, comme l’ont été la Libye ou la Syrie, pourrait lourdement impacter les espaces maghrébin et européen.
En activant la médiation allemande, Emmanuel Macron a en réalité lancé une bouée de sauvetage au régime algérien. Il lui a offert les conditions d’une libération de l’écrivain franco-algérien sans pour autant perdre la face auprès de son opinion publique, tout en levant un obstacle majeur à toute sortie de crise avec la France. La communication autour de cette médiation allemande est ainsi devenue un enjeu politique central.
«Paris mise beaucoup sur un retour de la coopération sécuritaire avec l’Algérie, notamment dans des domaines sensibles comme la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine.»
— Mustapha Tossa
Les propagandistes du régime algérien la survalorisent avec un zèle évident, pour contrer l’idée que le président de la République, comme l’institution militaire, a fini par céder sur Sansal, devenu un enjeu de sécurité et «d’honneur» national. Cet excès de zèle, destiné à expliquer pourquoi ce «cadeau politique» a été fait à Berlin plutôt qu’à Paris, est allé jusqu’à évoquer une forme de chantage allemand à l’égard de Tebboune: la libération de Sansal en échange de la possibilité pour lui de continuer à se soigner en Allemagne. Dans le monde de la diplomatie, un tel marchandage reste pour le moins hautement improbable.
Dans la réalité des faits, ce qui a surtout fait chuter la «valeur politique» de l’otage Sansal, c’est la récente résolution des Nations Unies sur le Sahara marocain, qui entérine le plan d’autonomie sous souveraineté marocaine. Sansal était détenu par Alger comme une carte de pression et de négociation sur la position de la France dans ce dossier.
Tant que cette vérité internationale n’avait pas éclaté au grand jour et ne s’était pas imposée avec une telle évidence, certains segments du régime algérien nourrissaient encore l’espoir de pouvoir infléchir la décision française. Même si cela paraissait incongru à beaucoup, Alger s’accrochait à l’idée de transformer le cas Sansal en monnaie d’échange, pour obtenir une position française moins enthousiaste dans son soutien à la marocanité du Sahara.
Or, la résolution du 31 octobre des Nations Unies a rebattu toutes les cartes et réécrit les équations régionales. Alger est désormais sous pression internationale, européenne et américaine pour s’acclimater à cette nouvelle donne politique. Maintenir Sansal en prison, avec le risque réel de le voir mourir en détention, devenait un fardeau trop lourd pour un régime déjà affublé d’une réputation exécrable. Une course contre la montre s’est engagée pour «se débarrasser» de ce dossier encombrant. Le scénario de la médiation allemande a été monté dans l’urgence, et Sansal s’est retrouvé libre en un temps record, à la grande satisfaction de Paris et du président Emmanuel Macron, qui n’a pas hésité à souligner que la démarche allemande était d’inspiration française. Ce que tout le monde avait compris, sauf les propagandistes du régime algérien.
Cette libération ouvre donc la voie à un réchauffement de l’axe Paris–Alger. Sans doute à travers une visite attendue du nouveau ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, en Algérie. Laurent Nunez succède à Bruno Retailleau, qui avait servi de défouloir aux haines du régime algérien contre la France. Sans doute aussi à travers une possible rencontre au sommet entre le président Abdelmadjid Tebboune et le président Emmanuel Macron, en marge du G20 prévu en Afrique du Sud les 22 et 23 novembre.
Paris mise beaucoup sur un retour de la coopération sécuritaire avec l’Algérie, notamment dans des domaines sensibles comme la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Mais cette crise politique entre les deux pays a laissé des traces et a profondément abîmé les relations entre les deux leaderships. Au point que certains estiment que le chantier de la réconciliation mémorielle, brandi par Emmanuel Macron comme un enjeu majeur de ses deux mandats, est pour l’instant renvoyé aux calendes grecques.





