Le président Tebboune gracie un historien pour qui «l’amazighité est un projet idéologique sioniste-français»

Bernard Lugan.

ChroniqueFidèle à la ligne définie au moment de l’indépendance de 1962 par Abderrahmane Ben Hamida, ministre algérien de l’Éducation nationale, pour qui «les Berbères sont une invention des Pères Blancs», Mohamed El Amine Belghit ne cessa jamais d’être un ardent défenseur de la thèse de l’inexistence de la berbérité. Au moment où le MAK a proclamé l’indépendance de la Kabylie, sa grâce par le président Tebboune ne manque pas d’interroger.

Le 16/12/2025 à 10h56

Le 1er mai dernier, Mohamed El Amine Belghit, historien officiel et docile porte-parole de l’institution militaire algérienne, déclara sur la chaîne émiratie Sky News Arabia que «l’amazighité est un projet idéologique sioniste-français par excellence» car les Berbères n’existent pas puisque ce sont en réalité des Arabes (!!!).

En disant cela, Mohamed El Amine Belghit était dans la ligne officielle suivie par les idéologues du courant «arabo-islamo-conservateur» algérien depuis 1962. Pour ces derniers, la diversité ethnique algérienne s’est fondue dans le nationalisme arabo-musulman, puisque l’islamisation aurait marqué la fin de l’histoire des Berbères. Leur conversion à l’Islam, il y a quatorze siècles, les aurait en effet inscrits de façon irréversible dans l’aire culturelle de l’arabité.

Arrivés au pouvoir durant l’été 1962, après un coup d’Etat qui leur permit d’évincer le GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), les «arabo-islamo-conservateurs» supprimèrent donc la chaire de kabyle de l’université d’Alger. Pour eux, la revendication berbère était en effet une conspiration séparatiste dirigée contre l’islam et contre l’arabité. Comme l’amazighité affirmait la double composante du pays, berbère et arabe, le parti FLN parla donc de dérive «ethnique», «raciste» et «xénophobe» menaçant de détruire l’Etat. Résultat, les Kabyles et les Chaoui qui avaient mené la guerre contre la France se retrouvèrent donc citoyens d’une Algérie algérienne arabo-musulmane niant leur identité.

Fidèle à la ligne définie au moment de l’indépendance de 1962 par Abderrahmane Ben Hamida, ministre algérien de l’Education nationale, pour qui «les Berbères sont une invention des Pères Blancs», Mohamed El Amine Belghit ne cessa jamais d’être un ardent défenseur de la thèse de l’inexistence de la berbérité. Pour lui, l’amazighité est même un mythe colonial puisque la conscience culturelle et politique kabyle serait née avec la colonisation française…

Ce docile porte-parole de la ligne officielle algérienne avait «colonnes ouvertes» dans le très officiel El Moudjahidine, ainsi que dans toutes les courroies de transmission médiatiques de l’institution militaire. À chaque anniversaire, il ne manquait jamais de confirmer le mythe du million de «martyrs» morts au combat contre l’armée française– sur une population de 9 millions d’habitants!–, ou celui des 45.000 morts lors de l’insurrection de Sétif en 1945.

Enfin, «cerise sur le gâteau» missionné par le «Système» alors aux abois, il fut en pointe dans la dénonciation du Hirak qu’il définissait comme un «complot kabylo-français».

C’était donc fidèle à ce qui fut longtemps la ligne officielle algérienne que le 1er mai 2025, répondant aux questions d’une journaliste de Sky News Arabia, Mohamed El Amine Belghit déclara en toute bonne foi que «l’amazighité est un projet idéologique sioniste-français par excellence» car les Berbères n’existent pas.

Or, pour de complexes questions de jeu d’équilibre et de rapports de force entre les clans composant le «Système» algérien, cette déclaration provoqua un séisme politique. La Présidence décida alors de faire accroire qu’elle ne badinait pas avec l’unité nationale. Dans le communiqué officiel qui fut alors publié, il était écrit que la déclaration de Mohamed El Amine Belghit «constitue une violation, une atteinte à une composante essentielle de l’identité nationale, ainsi qu’une offense flagrante à l’unité nationale».

Emprisonné le 3 mai, Mohamed Amine Belghit fut condamné le 3 juillet à cinq ans de prison ferme. Le 7 octobre, la Cour d’appel d’Alger le condamna à cinq ans de prison dont trois ans ferme et deux ans avec sursis, pour «atteinte à l’unité nationale» et «incitation à la haine raciale».

Lundi 15 décembre, le président algérien lui a accordé une «grâce totale pour le reste de la peine». Au moment où le MAK a proclamé l’indépendance de la Kabylie, cette insolite grâce présidentielle ne manque pas d’interroger.

Par Bernard Lugan
Le 16/12/2025 à 10h56