Je n’ai pas pour habitude de me mêler de la politique intérieure des autres pays mais les informations qui nous parviennent de France laissent songeurs.
Nous sommes bien dans la patrie mythique des Droits de l’Homme et du Citoyen!
Celle-là même dont le président Emmanuel Macron se comporte, en la matière, envers ses pairs africains, en donneur de leçons impénitent, et dont le groupe Renaissance s’est illustré pour son orchestration de campagnes hostiles contre le Maroc au Parlement européen, sous couvert de défense de la liberté, via le groupe d’eurodéputés de Renew dont le président est Stéphane Séjourné, par ailleurs son ancien officiel proche conseiller!
Dans un décalage criard entre les sentences paternalistes envers la moitié de la planète et les actes irréprochables dus à ses propres compatriotes, plusieurs violations des libertés publiques sont enregistrées, dont les plus graves sont les violences policières, incontestables au vu des dizaines de vidéos partagées, quand ce ne sont pas des entraves à des droits fondamentaux, telle l’interdiction anticonstitutionnelle de manifestation, enrobée derrière les termes «cortèges, défilés et rassemblements revendicatifs», en plus d’autres dérives qui ont fait basculer le pays dans le camp «autoritaire» pour rester dans les doux euphémismes.
Cerise sur le gâteau, une ubuesque interdiction a vu le jour, visant les concerts de casseroles en vertu de dispositions de lois antiterroristes!
Dans le département de l’Hérault, préparant la visite du président à Ganges, un arrêté préfectoral, appelé depuis par l’opposition et par certains médias «Arrêté anti-casseroles», a invoqué pêle-mêle plusieurs textes législatifs officiels dont la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ou le plan Vigipirate au niveau sécurité renforcée, risque attentat.
C’est ce qu’on appelle «Ne pas y aller avec le dos de la cuillère»!
Des vidéos hallucinantes montraient ainsi les gendarmes en train de confisquer les ustensiles de tous les dangers au terme de dialogue burlesques avec les manifestants:
- Mais à quel moment on n’a pas le droit de prendre des casseroles?
- Vous voulez voir l’arrêté préfectoral?
L’arrêté en question vise précisément, comme écrit noir sur blanc, «tous objets susceptibles de constituer une arme» et «l’usage de dispositifs sonores portatifs».
Nulle mention de casseroles au sens strict, ce qui ferme par avance le clapet aux poêles à frire, aux marmites, aux crêpières, aux chaudrons et autres ustensiles jetés tous dans le même placard, ce qui permet, par la même occasion, une fois montée la contestation, de refiler courageusement la patate chaude aux fonctionnaires de police auxquels les responsables politiques ont prêté une mauvaise interprétation des consignes.
Pas bonne poire pour deux sous, les réactions étaient légion: ras le bol des citoyens lambda, éclairages des spécialistes en droit public, dénonciations du syndicat de la magistrature pour qui «cet arrêté est une caricature, il interdit tout ce qui peut être interdit pour réduire la rue au silence, il assimile la contestation sociale au risque terroriste, il transforme les casseroles ou le bruit en armes par destination», tandis que la Ligue des droits de l’Homme déclarait à la presse, via son président, Patrick Baudouin: «Je crois qu’on atteint le sommet de la dérive sécuritaire, qui frise le ridicule et qui renvoie notre pays dans le camp de tous les régimes illibéraux et non démocratiques».
La même ligue, qui avait par ailleurs mis en cause la responsabilité des forces de l’ordre dans les violences survenues à Sainte-Soline, avait été menacée sur le plan de son financement par le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin qui déclarait le 5 avril, à l’Assemblée, que la subvention de l’État à son endroit « méritait d’être regardée ».
Une pratique « habituelle des régimes autoritaires » conclut l’association.
Mais revenons à nos fourneaux!
Il faut dire que le tintamarre mi-figue mi-raisin des casseroles est devenu l’un des symboles de la lutte contre la réforme des retraites massivement rejetée par la population, et ce depuis l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron le 22 avril, à la suite de la promulgation de la loi par l’Exécutif.
Parmi ceux qui en ont fait les frais: à tout seigneur, tout honneur, le président d’abord, notamment lors de ses déplacements en Alsace ou à Vendôme, en plus, manque de pot, du ministre de l’Éducation nationale Pap Ndaye, exfiltré de la Gare de Lyon à Paris, du ministre de la Santé François Braun, bloqué devant l’entrée de la CAF de Montreuil, de la ministre Isabelle Lonvis-Rome à son arrivée à la préfecture d’Annecy, du ministre Christophe Bechu en déplacement à Perpignan …
«Les casseroles ne feront pas avancer la France», soutient mordicus Emmanuel Macron qui n’y voit pas un «formidable signe de vie démocratique».
«Le bruit des casseroles, c’est la colère qu’on fait bouillir et c’est la démocratie qui s’évapore», clame poétiquement, une fois n’est pas coutume, Olivier Véran.
«Or, affirme pour sa part Amnesty France international, les casseroles comme moyen d’expression, c’est légal !».
L’histoire du détournement de l’usage des casseroles, passées de pacifiques ustensiles de cuisine à de tapageurs instruments de contestation politique, remonte en France au XIXe siècle.
Elles ne font que perpétuer là la tradition du charivari communautaire, rituel coutumier pratiqué au Moyen-âge et dont les traces lointaines sont signalées par René Hardy (dans «Charivari et justice populaire au Québec») en Grèce antique, au nord-ouest de l’Inde ou chez les Ossètes en Russie caucasienne.
Consistant en un fracas dissonant de récipients métalliques visant à sanctionner les transgressions des normes sociales, le charivari glisse vers le terrain politique, particulièrement en 1832, au début du règne de Louis-Philippe, en tant que «chants» de contestation contre la monarchie de Juillet, tout en restant attesté, dans les années 1820, comme vox populi et signe manifeste de dissidence et de réprobation.
«Le charivari se fait, en un mot, rite de surveillance démocratique dans une société non démocratique», écrit Emmanuel Fureix dans «Le charivari politique: un rite de surveillance civique dans les années 1830».
L’auteur précise plus loin que «le charivari n’exprime pas seulement, par des sons discordants, une opinion collective, il proclame aussi par une performance publique l’opprobre d’un individu jugé indigne.»
Durant la guerre d’Algérie, la pratique charivarique marque une résurgence sur la scène publique avec l’organisation de casserolades nocturnes, depuis les balcons, pour scander les 3 brèves et 2 longues d’«Algérie française».
Sans pour autant disparaître, voilà le charivari encore réinventé, en plein jour, pour dire non aux dévoiements et pour pointer derrière l’aspect grotesque, théâtralisé, la très sérieuse question de la liberté.