Lors de la Journée de la filière auto, organisée cette semaine à Paris par la Plateforme automobile (PFA, le lobby des constructeurs et équipementiers français), les dirigeants ont presque tous tiré la sonnette d’alarme: «Le sol se dérobe sous nos pieds» (Luc Chatel, président de la PFA), «Notre industrie vit un tournant, avec un risque de décrochage» (François Provost, patron du groupe Renault), ou encore «L’Europe décline» (Antonio Filosa, Stellantis).
Pourquoi cette crise?
Sans sombrer dans les prédictions les plus noires, dirigeants, syndicalistes et ONG environnementales s’accordent sur la gravité des bouleversements en cours. Le patron de Mercedes, Ola Källenius, évoque «une transformation comme on en voit tous les cent ans, dans un environnement balayé par un ouragan force 5».Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, parle quant à elle d’un moment «historique» et «charnière».
De fait, le marché automobile n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant-Covid. Les ventes de véhicules neufs ont reculé de quelque trois millions d’unités en Europe entre 2019 et 2024, tombant à 10,6 millions. En France, la baisse atteint 22%: de 2,21 millions d’unités en 2019 à 1,72 million en 2024.
Selon Olivier Hanoulle, expert automobile au cabinet Roland Berger, cette inquiétude repose sur trois facteurs: la voiture électrique, le protectionnisme américain et la montée en puissance de la Chine.
«L’Europe doit accomplir la transition vers la voiture électrique la plus rapide du monde. Les Chinois ont démarré bien avant nous, sans viser la fin du moteur thermique en 2035, tandis que les États-Unis, dirigés par Donald Trump, s’électrifient lentement», observe-t-il.
L’échéance 2035: horizon ou impasse?
L’Union européenne prévoit pour 2035 l’interdiction des voitures thermiques et hybrides neuves, une mesure phare du Pacte vert européen (Green Deal) adoptée en mars 2023 malgré les réticences allemandes.
Une clause de révision est prévue pour 2026, mais, sous la pression des industriels qui espèrent un assouplissement, la Commission devrait annoncer de nouvelles décisions d’ici décembre.
«Les risques qui pèsent aujourd’hui sur l’industrie européenne» résultent «d’un choix politique et dogmatique, et non technologique», a asséné Luc Chatel.
Les constructeurs soulignent que les consommateurs boudent la voiture électrique car elle reste trop chère. D’où leur appel à autoriser les hybrides rechargeables (moteur thermique + batterie électrique) et les agrocarburants après 2035, tout en limitant «le tsunami de normes sur la sécurité et la décarbonation», selon François Provost (Renault).
Christophe Périllat, directeur général de Valeo, rappelle que 2035 a été fixé pour atteindre un parc 100% vert en 2050, année-cible de la neutralité climatique: «Le défi climatique n’a pas changé».
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Mais les «concessions automobiles sont vides», ajoute-t-il; il faut donc «introduire de la flexibilité» pour relancer le marché.
Des voitures plus chères et plus grosses
Les prix des véhicules neufs ont grimpé de 24% en France entre 2020 et 2024, selon une étude de l’Institut Mobilités en transition publiée en mai.
L’électrification ne représente que 6 points de cette hausse, de même que l’inflation des coûts. La moitié de l’augmentation découle des marges et d’une montée en gamme.
Cette «SUVisation» des modèles rend les véhicules neufs inaccessibles à la classe moyenne, dénonce Thomas Uthayakumar, de la Fondation pour la nature et l’Homme.
«Les constructeurs ont cyniquement abandonné les voitures abordables au profit des plus chères», fustige-t-il, «au détriment des PME implantées sur le sol français» et «malgré les aides publiques largement distribuées», renchérit Marylise Léon.
«Des voitures très grosses, très chères, très équipées»: ce choix a dopé les profits des constructeurs au tournant des années 2020, s’agace Diane Strauss, de l’ONG Transport & Environnement.
Mais aujourd’hui, ce modèle s’essouffle: entre transition écologique, désaffection du public et concurrence chinoise, l’Europe automobile n’a jamais semblé aussi vulnérable.












