Depuis le 19 janvier, collégiens et lycéens manifestent par milliers dans plusieurs villes d’Algérie. D’Alger à Oran, en passant par Tizi Ouzou et Sidi Bel Abbès, les étudiants crient leur colère et réclament un enseignement de qualité. À travers des pancartes et des slogans, ils demandent une mise à jour et une mise à niveau de l’enseignement qui leur est dispensé, loin de toute propagande ou idéologie, mais aussi la formation continue de leurs professeurs et la possibilité de recourir à des cours particuliers, chose qui a été interdite dans les centres de langue. Après s’être heurtées à la répression policière et à la passivité des responsables, leurs nombreuses revendications se sont peu à peu politisées, pour cibler dorénavant le «Système».
Plutôt que d’écouter les demandes d’une jeunesse en détresse qui n’entrevoit pas d’avenir dans son pays, le président Abdelmadjid Tebboune a choisi ce moment précis pour mettre fin aux fonctions du président de la Cour des comptes, Abdelkader Benmarouf. Dans le décret présidentiel, annoncé le 25 janvier et publié au Journal officiel, il est indiqué que le président de la Cour des comptes a été admis à la retraite après 30 années passées à ce poste.
Le moment choisi pour annoncer ce départ anticipé n’est pas anodin. En effet, le 15 décembre 2024, la Cour des comptes publiait un rapport, au titre de l’année 2024, pointant du doigt les insuffisances dans le fonctionnement des écoles en Algérie, dont le volet pédagogique est géré par le ministère de l’Éducation, mais dont le fonctionnement est placé sous la tutelle du ministre de l’Intérieur.
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C’est précisément sur ce dernier volet que s’est concentré ce rapport intitulé «L’école algérienne et les enjeux de qualité - Cadre stratégique 2015-2030», en rappelant que «le rendement du système scolaire algérien est considéré comme l’un des systèmes les plus bas au monde».
Sous le feu des critiques, le ministère de l’Intérieur sauvé par Tebboune
On y souligne ainsi le fait que le minimum de 32 semaines de cours qui doivent être dispensées chaque année n’est toujours pas atteint, alors que la moyenne mondiale et européenne est respectivement de 36 et 38 semaines. La comparaison est aussi établie quant au volume hebdomadaire consacré à l’enseignement des mathématiques au primaire, qui est de 720 heures en Algérie, alors qu’il est de 960 heures en Tunisie et de 900 heures en France.
Mais au-delà de l’aspect pédagogique, c’est sur le fonctionnement des écoles que va se concentrer ce rapport, pointant par conséquent du doigt la mauvaise gestion de ce volet par le ministère de l’Intérieur. En effet, rapporte la Cour des comptes, «en dépit du soutien financier consenti par l’État à travers les contributions de la Caisse de solidarité et de garantie des collectivités locales, des progrès restent à faire pour un bon fonctionnement des écoles primaires, consistant à assurer de meilleures conditions de scolarisation aux élèves». Et de dénoncer le manque de personnel de nettoyage, de gardiennage, d’infrastructures scolaires, d’espaces d’éducation physique et sportive, de salles d’informatique et de lecture et d’équipements informatiques.
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Et la liste des faiblesses du système éducatif est encore longue. La Cour des comptes met aussi en lumière la surcharge des salles de cours (plus de 30 élèves par classe), due au choix inapproprié des sites d’implantation des nouvelles écoles, les défaillances dans la programmation et la réalisation des établissements, des retards dans la mise en service de certains établissements nouvellement construits… Autant de dysfonctionnements, alors que les communes des 14 wilayas sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ont reçu un financement de 74 milliards de dinars (environ 552 millions de dollars) entre 2020 et 2023.
Chaque année, dénonce le rapport, des sommes colossales sont ainsi attribuées à diverses dépenses dans l’éducation, mais sans donner des résultats satisfaisants. Face à un système scolaire en déliquescence, les cours particuliers explosent, témoignant de la mauvaise qualité de l’enseignement public. «Le manque de supervision et de suivi au sein des établissements scolaires, l’insuffisance dans la compréhension et la perception des cours des matières de base, la faiblesse des résultats scolaires et la pression sociale pour l’obtention de meilleures notes ou niveaux scolaires», expliquent l’explosion des cours particuliers, conclut le rapport.
Face aux critiques, la fuite en avant systématique du régime d’Alger
Le limogeage du président de la Cour des comptes, maquillé en départ à la retraite, est la réponse adressée par Abdelmadjid Tebboune à la jeunesse de son pays. En effet, depuis le début des manifestations des collégiens et lycées, la presse à la solde du pouvoir a distillé le même discours, accusant «une main étrangère qui chercherait à déstabiliser le pays» via sa jeunesse. Une théorie du complot communément exploitée par le régime en place pour expliquer au peuple algérien la raison de tous leurs maux et orienter sa colère vers un ennemi imaginaire.
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On préfère ainsi qualifier ces manifestations de complètement «inattendues», alors que la jeunesse du pays manifestait déjà en 2008 pour les mêmes motifs, et attribuer leur ampleur à la manipulation des élèves par des comptes anonymes sur les réseaux sociaux.
Admettre la véracité d’un rapport qui pointe du doigt les défaillances d’un système décrié reviendrait à ne plus invoquer la théorie du complot, quitte à user ce stratagème jusqu’à la corde. En limogeant l’auteur d’un rapport critique aux conclusions véridiques, Abdelmadjid Tebboune préfère s’enfoncer un peu plus dans le déni, plutôt que de faire face aux vrais problèmes. Ce mode opératoire, reposant sur la fuite en avant, est consubstantiel à la gouvernance de l’appareil militaro-politique en Algérie.