«Pays d’origine sûr»: le nouveau label européen pour trier les demandes d’asile

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueDans le cadre de ses nouvelles politiques communautaires de migration et d’asile, l’Europe procède actuellement à un tri sélectif des «pays d’origine sûrs». Une «short list» de pays tiers qui permettra aux États membres de rejeter plus facilement les demandes d’asile déposées par leurs ressortissants. Le Maroc y figure.

Le 18/10/2025 à 10h00

Adopté in extremis à la fin de la mandature 2024, le Pacte sur la migration modifie en profondeur le droit européen de l’asile. À compter de juin 2026, tout migrant intercepté aux frontières fera l’objet d’un filtrage express, limité à sept jours. À son terme, trois issues possibles: procédure d’asile classique, procédure à la frontière ou retour immédiat vers le pays d’origine. Le pacte– précisément le Règlement sur l’asile– définit le concept de «pays d’origine sûr», lequel doit pouvoir être invoqué par un État membre pour refuser la demande d’asile effectuée par le ressortissant de l’un de ces pays après un entretien individuel.

Entre la protection des droits humains et la volonté des Européens d’accélérer les procédures, l’équilibre est fragile… Et surtout, si la définition de «pays d’origine sûr» relève du droit, la liste positive de ceux qui le sont relève, elle, de la politique– et de la diplomatie… Difficile à partager à 27!

Dans les textes, les Européens se sont déjà mis d’accord sur la définition de «pays d’origine sûr». Ce sont des pays tiers où les non-ressortissants n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté à raison «de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques».

Sur cette base, la Commission européenne propose actuellement d’inscrire sept États: Maroc, Tunisie, Égypte, Bangladesh, Colombie, Inde et Kosovo. Cette liste se veut dynamique. Un pays peut être ajouté, suspendu ou retiré selon l’évolution de sa situation. C’est dans ce cadre que l’Europe, par un compromis entre États membres et parlementaires européens, doit désormais définir sa liste de «pays d’origine sûrs». Les États membres qui ont déjà leur propre liste nationale pourront la maintenir– à condition d’être compatibles avec la position européenne. Une concession majeure à la souveraineté en matière d’asile.

«Les critiques des eurodéputés pleuvent, tant sur la méthode de la Commission que sur le fond: ni consultation publique, ni étude d’impact sur les droits fondamentaux, manque de transparence, informations lacunaires.»

Le débat agite actuellement le Parlement européen, particulièrement la Commission LIBE, et comme souvent depuis le début du mandat, la migration est une storia italiana: ici, un rapporteur Fratelli d’Italia, Ciriani, une opposition socialiste, via le Partito Democratico, avec les voix critiques de Cecilia Strada et de Marco Tarquinio, le rapporteur de la commission Droits de l’Homme.

La révision des procédures d’asile figurait parmi les nombreuses promesses de campagne de Giorgia Meloni en 2022– tout autant que la coopération avec les pays d’origine sur le contrôle migratoire. Trois ans plus tard, à l’épreuve des réalités économiques– l’augmentation des visas de travail légaux– et juridiques– un conflit avec les juges nationaux et la CJUE sur la relocalisation des demandes d’asile en Albanie, après quelques quarante décrets relatifs à l’immigration, dont le décret-loi d’octobre 24 identifiant 19 pays d’origine sûrs (parmi lesquels 7 pays candidats à l’UE, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie), le chef du gouvernement italien est devenu l’agenda-setter de la politique migratoire européenne. Son modèle inspire désormais la Commission européenne comme le Parlement.

Reste la question: comment être sûr qu’un pays est sûr? À Bruxelles, la désignation repose sur l’évaluation de la Commission européenne, nourrie par les données de l’Agence de l’asile. Les critiques des eurodéputés pleuvent, tant sur la méthode de la Commission que sur le fond: ni consultation publique, ni étude d’impact sur les droits fondamentaux, manque de transparence, informations lacunaires. Absence d’analyse pays par pays: comment comparer le Maroc et le Bangladesh, la Tunisie et la Colombie?

Même les pays candidats ne peuvent être sûrs par principe. Pourquoi retenir des pays qui pratiquent la peine de mort? Imposer le Bangladesh aux 27 quand seulement six États le reconnaissent comme sûr? Et d’ailleurs, «sûrs»? Mais pour qui? Les ressortissants d’un pays d’origine désigné comme sûr qui appartiennent à des minorités ou sont victimes de discrimination conservent le droit de démontrer, individuellement, qu’ils courent un risque réel. Et les États membres devront toujours examiner cas par cas, chaque demande, en s’assurant de toutes les garanties procédurales. Quelle pratique chacun en fera?

Autant d’interrogations qui annoncent les fractures entre États membres et une liste commune amenée, in fine, à se réduire au plus petit dénominateur politique: une labellisation qui dira surtout les pays avec lesquels l’Europe veut sécuriser sa coopération migratoire.

Par Florence Kuntz
Le 18/10/2025 à 10h00