Le président Abdelmadjid Tebboune a perdu son pari. Il pensait qu’en multipliant les annonces déconnectées des réalités, voire fantaisistes, et en l’absence de concurrents de poids, il réussirait à obtenir une victoire électorale significative. Une victoire «émancipatrice» qui aurait pu, ne serait-ce que symboliquement et temporairement, lui permettre de s’affranchir de la tutelle des généraux omniprésents. Il cherchait à reproduire le scénario du début de l’ère Bouteflika. La réponse du peuple algérien, réfractaire, a été sans équivoque: un rejet massif du système, manifesté par un refus de participer au vote. Le taux de participation a atteint un niveau historiquement bas, certains analystes l’estimant à moins de 10%.
Comme par le passé, le président algérien, bien qu’investi de la plus haute fonction, reste privé de la marge de manœuvre nécessaire pour entreprendre les réformes politiques et économiques indispensables pour l’avenir du pays. Il demeure prisonnier d’un système rigide, obsédé par la préservation de son pouvoir et refusant tout changement de peur de perdre son emprise. Depuis l’indépendance, l’Algérie est sous la tutelle d’un régime militaire qui, sous le masque de la démocratie, verrouille toute tentative de libéralisation. Ce régime a transformé la présidence en une institution sans stabilité et, plus encore, sans légitimité. La fonction présidentielle semble condamnée à une transition perpétuelle.
Pourtant, l’Algérie a un besoin urgent de réformes profondes. Les défis sont multiples: moderniser les institutions, mieux intégrer les diverses identités culturelles, notamment l’identité amazighe, et restructurer une économie encore largement dépendante des hydrocarbures. À ces enjeux s’ajoute la quête d’une plus grande justice sociale, la réduction du fossé toujours plus large entre une élite déconnectée des réalités et une population de plus en plus lassée d’un système inefficace, ainsi que la nécessité de répondre au chômage endémique qui frappe durement la jeunesse.
Les aspirations du Hirak, ce mouvement pacifique de contestation populaire, n’ont pas trouvé écho auprès d’un régime intransigeant. Ce dernier, nourri par une mentalité d’assiégé et conforté, il faut le dire, par la multiplication des tensions -qu’elles soient provoquées ou subies- aux frontières est, sud et ouest, préfère étouffer les voix dissidentes plutôt que d’engager un véritable dialogue.
Effectivement, un autre défi majeur s’est ajouté de manière déclarée aux préoccupations du président mal élu: l’insécurité aux frontières, qui représente désormais un facteur clé d’instabilité pour le régime et met à l’épreuve la capacité de l’armée à en assurer le contrôle et la sécurisation. L’ Algérie est de plus en plus exposée à l’instabilité chronique de la région sahélienne, au refus de la population libyenne d’accepter les frontières héritées du colonialisme français, aux nouvelles ambitions géopolitiques de la Russie dans la région et, enfin, aux menaces terroristes d’obédiences diverses qui pullulent dans son grand sud.
Cette situation est manifestement prise très au sérieux par le régime, dont la capacité à maintenir l’ordre et la sécurité est mise à mal, d’autant que les marges de manœuvre financières sont réduites. Les ressources, autrefois abondantes, s’amenuisent avec la baisse des revenus pétroliers. Le pouvoir n’hésite d’ailleurs plus à évoquer la multiplication des fronts et un probable redéploiement des troupes, notamment en provenance de la frontière avec le Maroc, un voisin devenu subitement moins menaçant sur le plan militaire.
L’insécurité n’est cependant pas uniquement interne: sur la scène internationale, l’Algérie se retrouve de plus en plus isolée. Ses relations diplomatiques avec le Maroc, rompues depuis 2021, témoignent de ce climat, tandis que son influence, autrefois affirmée par son soutien à la cause sahraouie, s’érode face aux avancées diplomatiques continues du Royaume. Cet isolement diplomatique complique encore davantage les perspectives de réformes, sur le plan interne comme externe, et freine toute tentative de repositionnement stratégique dans la région, au détriment de la stabilité et de la paix.
Face à cet état de délitement, une question majeure se pose: quelle sera l’attitude des alliés traditionnels de l’Algérie? Vont-ils laisser le pays s’enfoncer davantage dans la crise, ou tenter de l’aider à retrouver un équilibre? La France, prudente et directement concernée, semble avoir choisi la voie de l’assistance, cherchant à éviter une fuite en avant du régime. Les vœux précipités du président Macron à l’occasion de la réélection contestée du président Tebboune en sont une preuve évidente. La Russie, pour sa part, a opté pour un éloignement, tout comme la Chine, qui semble désormais privilégier ses relations avec le Maroc et l’Égypte.
En définitive, l’Algérie sous Abdelmadjid Tebboune semble s’enfoncer dans une impasse diplomatique, politique et économique. Le pays est pris au piège d’un régime autoritaire accroché au pouvoir, alors que les défis s’accumulent et que les solutions tardent à se concrétiser. L’armée, pilier du régime, reste sourde aux appels en faveur d’une ouverture démocratique, paralysant ainsi toute tentative de modernisation. Quant aux partenaires internationaux, ils devront bientôt choisir entre soutenir un régime de plus en plus contesté ou encourager une véritable transition politique. Pour l’instant, rien ne laisse présager une sortie de cette spirale, laissant l’avenir du pays incertain, sous le joug d’un pouvoir de plus en plus fragile et contesté.