Qui sont les deux autres détenus d’opinion algériens dont le Parlement européen exige la libération?

De gauche à droite, Mohamed Tadjadit et Abdelwakil Blamm, tous deux détenus d'opinion en Algérie.

De gauche à droite, Mohamed Tadjadit et Abdelwakil Blamm, tous deux détenus d'opinion en Algérie.

Le 23 janvier, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les graves atteintes à la liberté d’expression en Algérie, exigeant la libération immédiate de l’écrivain et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, ainsi que celle de deux autres hommes emprisonnés dans les geôles algériennes: Mohamed Tadjadit et Abdelwakil Blamm. Mais qui sont-ils, et pourquoi le Parlement européen s’intéresse-t-il à leur sort?

Le 24/01/2025 à 12h42

215. C’est le nombre de personnes emprisonnées en Algérie pour avoir exercé leur droit à la liberté d’opinion et d’expression. Bien que le pays ait adopté «la Déclaration universelle des droits de l’Homme et s’est, en ce sens, engagé à respecter et à promouvoir la liberté d’expression, dans le plein respect de ses obligations internationales, des priorités du partenariat UE-Algérie et de sa Constitution», révèle le Parlement européen dans cette résolution, la donne a changé depuis que de nouvelles modifications au code pénal algérien, introduites en 2024 à la veille de la dernière élection présidentielle, ont considérablement restreint la liberté d’expression.

En effet, en introduisant de nouvelles infractions liées à l’expression des opinions, l’Algérie a considérablement étoffé ses outils juridiques pour faire taire l’opposition et les voix dissidentes. Désormais, dès lors que l’on exerce sa liberté à l’encontre du régime au pouvoir, on risque la prison, assortie à une peine de perpétuité, pour «trahison» ou «terrorisme», des notions fourre-tout utilisées à tout-va pour poursuivre des journalistes, des défenseurs des droits de l’Homme et des militants politiques.

L’écrivain Boualem Sansal, âgé de 80 ans et emprisonné depuis le mois de novembre 2024, est victime de ces lois qui s’emploient à protéger uniquement ceux qui gouvernent le pays. Mais il est loin d’être un cas isolé et le Parlement européen l’a rappelé le 23 janvier en citant deux personnes en particulier.

Dans sa nouvelle résolution, qui a remporté une majorité écrasante de votes, avec 533 voix pour et 24 contre (dont celle de Rima Hassan qui s’oppose de la sorte à la libération des détenus d’opinion en Algérie et proclame qu’elle est un suppôt du régime d’Alger), le Parlement européen condamne «les arrestations de tous les autres militants, prisonniers politiques, journalistes, défenseurs des droits de l’Homme et autres personnes détenues ou condamnées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’opinion et d’expression, dont le journaliste Abdelwakil Blamm et l’écrivain Mohamed Tadjadit, et demande leur libération».

Qui sont-ils? Et pourquoi font-ils trembler le régime d’Alger?

Mohamed Tadjadit, le poète du Hirak

Âgé de 31 ans, Mohamed Tadjadit s’est imposé depuis plusieurs années comme un fervent défenseur des droits de l’Homme, doublé d’un poète à la plume trempée dans un langage urbain, direct où se reconnaît le peuple algérien. Mohamed Tadjadit est sorti de l’ombre en 2019, lors du Hirak au sein duquel il s’est rapidement imposé comme une figure de proue de la jeunesse militante. Déclamant ses poèmes en darija algérienne au cœur des manifestations pacifiques qui ont bousculé l’ordre établi, le jeune homme, âgé de 25 ans à l’époque, a vu sa vie basculer en plein cauchemar dès novembre 2019, lorsqu’il a commencé à faire l’objet d’un véritable harcèlement judiciaire.

Il est ainsi arrêté une première fois le 11 novembre 2019 lors d’un sit-in de solidarité avec les prisonniers d’opinion à Alger et est placé en détention provisoire pour «exposition à la vue du public de publications susceptibles de nuire à l’intérêt national», et est condamné en décembre de la même année, à 18 mois d’emprisonnement, devenant ainsi le premier prisonnier d’opinion lié au Hirak à être frappé d’une peine aussi lourde.

Libéré en janvier 2020 suite à une grâce présidentielle, avec une peine réduite en appel à un an de prison avec sursis, Mohamed Tadjadit n’est pas au bout de ses peines car il est de nouveau arrêté en août 2020, lors d’une perquisition au domicile familial à Harraoua. Il est placé en détention provisoire, pour dix-neuf chefs d’accusation, dont «exposition à la vue du public de publications susceptibles de nuire à l’intérêt national» et «incitation à un attroupement non armé», jusqu’à la tenue de son procès en janvier 2021, à l’issue duquel il est condamné à six mois de prison, dont deux avec sursis. La peine ayant été purgée en provisoire, il ressort libre le même jour.

Mais quelques mois plus tard, en avril 2021, il s’attire à nouveau l’ire du régime. Les autorités l’arrêtent cette fois-ci pour avoir recueilli, filmé et diffusé sur les réseaux sociaux le témoignage d’un adolescent en état de choc et traumatisé après avoir été violé par un officier de police pendant sa garde à vue, suite à sa participation à une manifestation, ce même mois d’avril. Accusé d’«insulte à un fonctionnaire», de «diffamation du pouvoir judiciaire», de «publication de fausses nouvelles», de «corruption de mineur» et d’«incitation d’un mineur à la débauche», Mohamed Tadjadit est condamné à deux ans de prison par le tribunal de Sidi M’hamed.

Il ressort de prison le 7 août 2022 après que sa peine a été réduite en appel à 16 mois d’emprisonnement. Mais l’acharnement judiciaire dont il fait l’objet ne va pas s’arrêter en si bon chemin et le 24 octobre 2022, il est arrêté pour la quatrième fois. Il est cette fois-ci inculpé de «publication d’informations mensongères», «exposition à la vue du public de publications susceptibles de nuire à l’intérêt national» et «incitation à l’attroupement non armé» et est envoyé en détention provisoire avant d’être finalement placé quelques jours plus tard en liberté provisoire.

Au cours de l’année 2023, il est arrêté à trois reprises, le 2 janvier, le 4 avril et le 20 août pour être remis en liberté provisoire à chaque fois. Entre chaque arrestation arbitraire, il fait l’objet d’une surveillance permanente des services de sécurité et est victime, ainsi que sa famille, d’actes d’intimidations et de harcèlement de ces mêmes services.

L’année 2024 débute avec une autre arrestation de Mohamed Tadjadit, le 29 janvier à son domicile à Alger, à la suite d’une plainte déposée par le directeur de l’agence judiciaire du Trésor, organe gouvernemental, en raison de ses critiques à l’égard du gouvernement. On l’accuse d’«apologie du terrorisme» et d’«utilisation des technologies de la communication pour soutenir les actions et les activités des organisations terroristes» en raison de propos critiques tenus sur les réseaux sociaux et dans des conversations privées en ligne, dans lesquelles il évoque une réforme du code de la famille avec un groupe qualifié par la suite de terroriste par le régime.

Il est libéré le 1er novembre 2024 après avoir bénéficié d’une grâce présidentielle à l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration du 1er novembre 1954, avant d’être à nouveau arrêté, pour la sixième fois depuis 2019, le 16 janvier 2025, à son domicile à Alger. Après quatre jours de garde à vue, il a été jugé le 20 janvier sous procédure de comparution immédiate et condamné à cinq ans de prison ferme par le tribunal de Rouiba à Alger, après que le parquet du même tribunal a requis 10 ans de prison ferme contre lui.

Depuis son arrestation et sa condamnation le 20 janvier 2025, rien ne filtre dans la presse algérienne et les raisons de son emprisonnement n’ont pas été communiquées.

Toutefois, il est à noter que l’arrestation de Mohamed Tadjadit est intervenue quelques jours après la diffusion en France d’une vidéo de l’influenceur algérien Boualem Naman alias Doualemn, qui fait partie de ceux qui appellent à commettre des actes de violence en France et que l’Algérie a refusé d’accepter sur son territoire suite à son expulsion.

Dans cette vidéo diffusée le 5 janvier, le propagandiste citait le nom de Mohamed Tadjadit parmi les ennemis du pays qui utilisent le hashtag #maranichradi (je ne suis pas satisfait) en le menaçant de mort. Il se pourrait donc que le jeune homme ait été emprisonné pour son implication présumée dans la création de ce hashtag qui fait trembler le pouvoir, à travers lequel les Algériens communiquent leur mécontentement et dénoncent leurs conditions de vie sur les réseaux sociaux depuis le mois de décembre. En effet, depuis le 25 décembre, le régime d’Alger a procédé à une vague d’arrestations sans précédent qui a visé une centaine de personnes ayant diffusé ce hashtag sur les réseaux sociaux.

Abdelwakil Blamm, l’une des dernières voix libres du journalisme algérien

Le journaliste Abdelwakil Blamm fait justement partie de ces personnes arrêtées pour avoir diffusé le hashtag #maranishradi. Le 5 janvier 2025, plusieurs jours après qu’il a disparu sans donner de nouvelles, le parquet près le tribunal de Chéraga a annoncé son arrestation suite à une enquête confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure. Selon les résultats de cette enquête, il aurait publié des informations fausses et tendancieuses sur Facebook visant à «créer la discorde au sein de l’opinion publique», est-il mentionné dans le communiqué, et «effectué plusieurs appels et correspondances avec des terroristes établis en dehors du territoire national».

Il est ainsi poursuivi pour «participation à une organisation terroriste en connaissance de ses buts et activité, diffusion de fausses nouvelles susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre publics ainsi que l’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale».

L’arrestation de Abdelwakil Blamm n’est malheureusement pas une surprise, celui-ci étant dans le viseur des autorités algériennes depuis 2014, date à laquelle il a cofondé le mouvement «Barakat» qui s’est opposé fermement à la réélection pour un quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika. Puis en 2019, son militantisme s’est cette fois-ci exprimé dans le cadre du Hirak, dont il est devenu l’un des principaux activistes, mettant depuis sa plume au service de la liberté d’expression sur son compte Facebook afin de dénoncer les exactions du régime au pouvoir.

La pression internationale pour libérer Boualem Sansal va s’étendre à d’autres détenus d’opinion, dont le poète Mohamed Tadjadit et le journaliste Abdelwakil Blamm.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 24/01/2025 à 12h42