Réforme de la Moudawana: de quoi cette hystérie est-elle le nom?

Rachid Achachi.

ChroniqueLa révision de la Moudawana suscite débats passionnés et polarisations idéologiques, entre conservateurs criant au complot et progressistes déçus. Pourtant, l’approche pragmatique de cette réforme initiée par le roi Mohammed VI privilégie la dignité concrète et l’autonomie réelle de millions de Marocains, au-delà de tout clivage.

Le 02/01/2025 à 11h00

À peine les premiers points de la réforme de la Moudawana ont été rendus publics, le 24 décembre dernier, que des memes, des blagues et des démonstrations d’hystérie, pour le coup masculines, ont fusé sur les réseaux. Tout le monde ne parlait plus que de ça, du chauffeur de taxi jusqu’au coiffeur en passant par les personnalités publiques sur les différents plateaux télé et radio comme sur les réseaux.

Cependant, parlaient-ils réellement de la révision de la Moudawana, ou de certains fantasmes véhiculés sciemment autour de cette dernière par la frange la plus conservatrice de la société? Entre l’appât du gain de certains youtubeurs et influenceurs, la sclérose intellectuelle de certains conservateurs et les cris d’orfraie des progressistes radicaux, il y avait très peu de marge pour une analyse sereine et un débat dans les règles de l’art.

L’analyse méthodique et pragmatique de cette réforme a malheureusement cédé la place à la peur, à la panique et aux fantasmes. Pour les conservateurs, les hommes ont à nouveau été dépossédés de leurs droits par ce qu’ils qualifient de «dérive progressiste», pointant du doigt, pour certains, un complot occidental contre l’Islam. Pour les progressistes, le conseil des Oulémas et l’État ont à nouveau plié devant le diktat de la foule en refusant d’aller plus loin dans ce mouvement de réforme.

Mais faut-il rappeler à tous que la politique est avant tout l’art du compromis? Et qu’un bon compromis laisse toujours tout le monde avec un arrière-goût d’inachevé? Faut-il aussi leur rappeler que tout compromis est par nature provisoire, et que ce qui compte réellement, c’est la dynamique sous-jacente, celle d’une plus grande émancipation des personnes et d’une dignité de plus en plus consolidée?

Car depuis le début de son règne, le roi Mohammed VI a toujours fait preuve d’une capacité unique à réaliser des sauts qualitatifs importants, tout en préservant l’harmonie de la société dans toutes ses contradictions et polarisations.

Puisque ce qui compte de ce point de vue, ce n’est pas la satisfaction de tel ou tel camp idéologique, mais c’est avant tout la situation concrète et tangible de millions d’hommes et de femmes qui souffrent quotidiennement dans le silence, et qu’aucun agenda, ni progressiste ni conservateur, n’arrive à entendre. Car là où ces deux camps idéologiques se battent pour des idées et des textes, le roi œuvre pour des humains concrets.

«Je n’inviterai qu’à une chose: prendre garde aux grandes idées et aux grands idéaux, aussi louables soient-ils, dès lors qu’ils commencent, par leur grandeur, à écraser les individus concrets qui étouffent sous leur poids.»

De la création de l’Instance équité et réconciliation jusqu’à la réforme de la Moudawana, en passant par la création de l’INDH, la généralisation de la sécurité sociale et tant d’autres réformes et initiatives, le souci premier du Roi fut toujours d’oeuvrer pour une plus grande autonomie et une consolidation de la dignité des Marocains, loin de tout clivage idéologique.

Cet humanisme, que je qualifierai de « réaliste », est le seul que ressentent réellement les Marocains dans leur quotidien. Et sur ce point, cette réforme de la Moudawana -qui attend encore d’être rédigée dans le détail puis votée par le Parlement- va protéger des millions de femmes et d’hommes contre des abus qui n’ont que trop duré, et qu’on a pris l’habitude de draper dans des textes religieux ou des coutumes. Car beaucoup s’accrochent à la lettre de la loi tout en en trahissant l’esprit.

Non, les hommes ne seront pas dépossédés de leurs droits, car on ne peut être dépossédé de ce que l’on possède indûment. Et ceux qui s’offusquent de l’exclusion du foyer conjugal de l’héritage se sont-ils jamais offusqués devant des milliers de veuves jetées à la rue avec leurs enfants, à cause d’oncles et de cousins avides et sans conscience ni crainte réelle de Dieu?

Car la Charia n’a pas été révélée pour Dieu, mais par Dieu et pour les Hommes. L’humain et sa dignité sont la finalité, et la Charia est le chemin qui y mène. Et si elle n’y mène pas, c’est que, comme nous l’apprend notre grand philosophe andalou Ibn Rochd, il s’agit de la réinterpréter à l’aune de la raison et des impératifs du réel. Car s’il n’y a point de contradictions entre la Charia et la raison, c’est bien parce que la Charia peut être réinterprétée pour la rendre adéquate aux impératifs de la raison, et non l’inverse. Et c’est ce dont le Conseil des Oulémas a su faire preuve. Peut-être pas jusqu’au bout, peut-être pas suffisamment, mais la dynamique est là.

Ainsi, je n’inviterai, pour conclure, qu’à une chose: prendre garde aux grandes idées et aux grands idéaux, aussi louables soient-ils, dès lors qu’ils commencent, par leur grandeur, à écraser les individus concrets qui étouffent sous leur poids.

Car, comme nous l’apprend un autre philosophe, «l’idéal est toujours nettoyé d’un peu de réalité qui ferait tache». Or, la réalité, celle de millions d’hommes et de femmes, est ce qu’on occulte trop souvent au profit de luttes partisanes et intéressées.

Par Rachid Achachi
Le 02/01/2025 à 11h00