Rima Hassan, soumise au régime d’Alger

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueAu Parlement européen, Rima Hassan a justifié son vote par le fait que Boualem Sansal n’est pas «un homme des Lumières» et que ses déclarations le rangent du côté de l’extrême droite. C’est une honte. Voter contre la demande de libération d’un écrivain innocent, arrêté de manière arbitraire, est un scandale.

Le 27/01/2025 à 11h03

En politique, les mots ont leur importance. On ne doit pas dire n’importe quoi. On doit peser les mots qu’on utilise, et éviter de penser que ce n’est pas grave de dire une chose et son contraire. Bref, quand on est une personne publique, députée par exemple, on doit faire attention, et surtout se dégager des clichés, des idées toutes faites, des banalités qui n’engagent à rien. Autrement dit, il faut respecter sa fonction et penser par soi-même au lieu de répéter bêtement ce que dit ou pense le chef de son parti.

Quand Jean-Luc Mélenchon décide de ne pas utiliser le mot «terroriste», s’agissant des gens du Hamas ayant perpétré le massacre du 7 octobre 2023, il sait ce qu’il fait. Il a un projet, une stratégie: se présenter aux élections présidentielles et compter, par cette attitude pro-Hamas ou pro-palestinienne, sur le vote dit «musulman» en France.

Il en est de même quand sa formation politique, La France Insoumise (LFI), reste muette sur l’arrestation arbitraire et l’emprisonnement de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. LFI ménage le pouvoir algérien, faisant croire que c’est un régime respectable.

Jean-Luc Mélenchon est un redoutable homme politique qui sait ce qu’il fait et qui n’a aucune pudeur à soutenir des régimes autoritaires en Amérique latine et, à présent, le régime militaire algérien.

La tradition en France, depuis De Gaulle, est de ne pas mettre en prison des écrivains pour leurs opinions ou leurs écrits. On cite souvent le général qui, en 1961, en pleine guerre d’Algérie, répondait ainsi à un journaliste qui lui demandait s’il était opportun de procéder à l’arrestation de Jean-Paul Sartre: «On n’arrête pas Voltaire».

Jean-Luc Mélenchon et ses fidèles pensent qu’on peut arrêter un écrivain, ou en tout cas ne pas se mobiliser pour demander sa libération. C’est ce que LFI vient de prouver au sein du Parlement européen.

Le jeudi 23 janvier, les eurodéputés ont voté une résolution demandant au régime algérien de libérer immédiatement l’écrivain Boualem Sansal, âgé de 80 ans et malade, emprisonné depuis le 16 novembre 2024. Les représentants des groupes PPE, Renew, S&D, verts/ALE, ECR, Patriotes, EBS et The Left ont voté pour cette résolution, avec 533 voix, et 24 eurodéputés, dont Rima Hassan, ont voté contre. Il y a eu 48 abstentions, dont celle de Manon Aubry, membre très médiatisée de LFI.

«La grossièreté, c’est de se tenir du côté d’une dictature militaire et de s’opposer à la libération d’un écrivain qui n’a commis aucun délit, si ce n’est celui d’avoir parlé librement de faits historiques avérés.»

Rima Hassan a justifié son vote par le fait que Boualem Sansal n’est pas «un homme des Lumières» et que ses déclarations le rangent du côté de l’extrême droite.

C’est une honte. Voter contre la demande de libération d’un écrivain innocent, arrêté de manière arbitraire, est un scandale. On peut ne pas être d’accord avec les idées de cet homme. On peut en discuter avec lui. Mais pour le moment, il est en prison, comme Sakharov avait été condamné à l’exil par le régime soviétique.

Rappelons pour mémoire que pour «protester contre les persécutions dont il était victime», Sakharov avait entamé une grève de la faim. Pendant plus de 200 jours, il a été totalement isolé du monde extérieur. Même sa femme n’avait pas été autorisée à le voir et a été menacée d’une enquête criminelle. Après une mobilisation internationale, il a finalement été libéré. Le système algérien fonctionne comme celui de l’ancien empire soviétique.

Rima Hassan est arrivée à la politique pour se distinguer par des prises de position qui font du bruit. Elle se dit «fille de la Nakba» (la catastrophe de 1948). Elle a justifié son vote en disant que Boualem Sansal «défend dangereusement des thèses identitaires d’extrême droite, reprend la rhétorique du grand remplacement ou encore stigmatise les personnes exilées». C’est du pipeau!

On n’hésite pas à tout faire pour libérer un écrivain en prison pour ses idées. Cela devrait être naturel. Malheureusement, la position de LFI risque de conforter le régime d’Alger à garder dans ses geôles notre ami Boualem Sansal.

Rima Hassan a tenté de justifier sa décision en parlant de «l’instrumentalisation du cas de Sansal à des fins d’ingérence et d’escalade diplomatique avec un pays voisin de l’UE». Elle trouve cette façon de faire «grossière». La grossièreté, c’est de se tenir du côté d’une dictature militaire et de s’opposer à la libération d’un homme seul, écrivain, qui n’a commis aucun délit, si ce n’est celui d’avoir parlé librement de faits historiques avérés.

Et pendant ce temps-là, le parti de M. Mélenchon se tait. «Son cas ne souffre aucune discussion: l’écrivain n’a jamais tué personne; il s’est contenté d’exprimer des opinions qui déplaisent à la dictature algérienne et son incarcération contredit le plus élémentaire droit des gens», écrit l’éditorialiste Laurent Joffrin dans le média Le Journal. «Tel est le mot d’ordre de cette fanatique identitaire que l’absurde calcul électoral de LFI a promue au Parlement européen: libérer les terroristes, enfermer les écrivains.»

Laurent Joffrin évoque le cas de Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais, qui aurait commis plusieurs attentats en France en 1984. Arrêté, il a été condamné à la réclusion à perpétuité. Ceux qui réclament sa libération disent «qu’il est le prisonnier politique le plus ancien du monde».

Par Tahar Ben Jelloun
Le 27/01/2025 à 11h03