Plutôt que de rassurer les Algériens quant à la sécurité aux frontières de leur pays, sur lesquelles doit veiller l’armée en vertu de son rôle premier, le général Saïd Chengriha s’emploie surtout à leur faire peur en concoctant des menaces et périls imaginaires, dont les réseaux sociaux seraient le vecteur principal.
Le lundi 3 juin, à l’ouverture d’un séminaire sur «la Défense nationale face à la guerre cognitive», Chengriha a affirmé que l’Algérie est ciblée par certains pays voisins et des puissances mondiales à cause, d’une part, de ses positions diplomatiques sur les prétendues «causes justes» et, d’autre part, de tentatives de pays «hostiles» qui viseraient à faire main basse sur les ressources naturelles de l’Algérie.
«Les puissances actuelles et celles émergentes sont en compétition acharnée pour étendre leur influence et imposer leur contrôle sur les ressources et les richesses des pays du Sud», a-t-il déclaré. Bien évidemment, les «puissances émergentes» auxquelles fait allusion le général sont un doux euphémisme, désignant l’OPA récemment lancée par le groupe émirati Taqa sur la société gazière espagnole Naturgy, principal partenaire de la Sonatrach. Une opération vue d’Alger comme une tentative hostile d’Abou Dhabi et de Rabat, visant à mettre la main sur la production gazière de l’Algérie.
Lire aussi : Le général Saïd Chengriha met en garde les Algériens contre l’utilisation des réseaux sociaux
Devant un parterre comprenant le Premier ministre et les membres du gouvernement, des conseillers du président algérien, avec à leur tête Boualem Boualem, secrétaire général de la présidence, ainsi que les hauts gradés des différents corps de l’armée, Saïd Chengriha a appelé à «mobiliser les efforts de tous les acteurs pour faire face aux plans hostiles visant l’Algérie».
Il a ainsi mis en garde contre les réseaux sociaux, qualifiés de «technologies des guerres de 5ème génération», qui pourraient être exploités, selon lui, dans «des formes de guerre les plus dangereuses pour la conscience des peuples et la stabilité des États». Il a, à ce stade, remis au goût du jour la propagande habituelle du régime algérien, dénonçant de prétendues «pratiques sournoises exercées ces derniers temps par des parties hostiles à l’Algérie, en raison de son attachement à ses positions constantes et à sa décision souveraine, ainsi que de son soutien aux causes justes à travers le monde».
Plus explicite, le visuel de ce séminaire montre la carte de l’Algérie au milieu de ses six voisins maghrébins et sahéliens, sur fond de logos des différents réseaux sociaux (Facebook, YouTube, TikTok…), présentant ces derniers comme les armes les plus «dangereuses» auxquelles l’Algérie est confrontée au niveau de son voisinage immédiat.
Lire aussi : Algérie: le général Saïd Chengriha à nouveau pris d’un délire complotiste et d’une paranoïa aiguë
Derrière cette nouvelle croisade contre les réseaux sociaux, bête noire du régime algérien, impuissant face à ses opposants en exil qui continuent de le narguer, se cache en réalité la crainte de voir se déclencher à nouveau le Hirak, dont la énième candidature d’Abdelaziz Bouteflika a été le détonateur en février 2019. à l’approche de l’annonce officielle de la candidature à un second mandat d’Abdelmadjid Tebboune, dont la légitimité a été également contestée de vive voix par le Hirak, la sortie de Chengriha sonne comme une mise en garde contre toute forme de contestation interne, surtout que des protestations ont éclaté dimanche dernier dans les rues de Tiaret, dont les robinets sont à sec.
Les prétendus complots extérieurs ne sont donc qu’une diversion, car si l’Algérie était réellement menacée par des ennemis externes, les Algériens se seraient déjà mobilisés d’eux-mêmes et n’attendraient pas un quelconque appel, surtout pas celui venant d’un général dont les mains sont souillées du sang de centaines de milliers de leurs compatriotes tombés sous les balles de l’armée algérienne durant la décennie des années 80 (émeutes populaires et printemps berbère), puis celle des années 90, ou décennie noire, qui a fait plus de 200.000 morts et des milliers de disparus.
Bien au-delà, et depuis l’indépendance de leur pays, les Algériens ont constamment vécu dans un climat de peur et d’insécurité, venant non pas d’un quelconque ennemi extérieur, mais de leur propre armée. Les hauts gradés de l’armée algérienne, qui détiennent plus ou moins directement tous les pouvoirs, n’ont jamais accepté la remise en cause de cette hégémonie, quitte à retourner les armes contre leurs citoyens et mettre le pays à feu et à sang.
Les épisodes des années 80 et 90 ont servi à terroriser durablement les Algériens, qui se savent désormais otages d’une armée dont la volonté de maintenir le pays sous sa botte n’a d’égale que sa barbarie répressive. Une armée devenue omnipotente et intouchable, faisant qu’en Algérie, c’est toujours le commandement militaire qui installe ou démet à sa guise le président de la République, comme le démontrent, de 1965 à 2019, la chute d’Ahmed Ben Bella, la mise à l’écart de Chadli Bendjedid, l’assassinat de Mohamed Boudiaf, et la mise à l’écart de Lamine Zeroual puis celle d’Abdelaziz Bouteflika.
Il est donc paradoxal qu’aujourd’hui, des généraux inamovibles, dont l’âge oscille entre 75 et 90 ans, parlent de «guerre de 5e génération», alors qu’ils ne savent même pas tapoter sur le clavier d’un ordinateur et sont à la tête d’une armée qu’ils ont minée par la corruption, le tribalisme et le régionalisme… et dont le moral des troupes est au plus bas, comme l’a révélé un rapport confidentiel du ministère algérien de la Défense ayant fuité en décembre 2020.