Président du Conseil européen? C’est le «top job» de l’UE le plus méconnu, au pire symbolisé par son premier représentant, le belge Van Rompuy, que le Brexiteur Nigel Farage avait dépeint avec «le charisme d’une serpillière humide et l’apparence d’un petit employé de banque», au mieux confondu avec le président du Conseil de l’Union européenne, la présidence du Conseil étant exercée, à tour de rôle, et pour six mois, par chaque État membre.
Le rôle du président du Conseil européen est défini par les traités: il est d’abord chargé de préparer, de présider et d’animer les réunions du Conseil européen, en recherchant cohésion et consensus des États membres. Mais aussi, il assure la représentation extérieure de l’UE au niveau des chefs d’État ou de gouvernement tiers, en partage avec le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères; et aux côtés de la présidente de la Commission européenne lors des rencontres internationales.
Avec une présidente de la commission qui fait tout, comment le président du conseil fera le reste? C’est là que la personnalité de Costa trouve son premier intérêt. Il a déjà démontré, comme dirigeant de son pays, Premier ministre du Portugal pendant huit ans, ses qualités, son pragmatisme et sa capacité à s’entendre avec nombre de décideurs européens – coopérant avec Orban, sympathisant avec Barnier… Il a déjà fait part de sa volonté de travailler de concert avec Von der Leyen, désireux de mettre en place des réunions bimensuelles entre les deux institutions, pour coordonner leurs positions… et éviter la lutte fratricide du tandem Michel/ Von der Leyen des cinq dernières années, qui abîmait l’image de l’Europe à l’étranger, facilement exploitée par-delà les frontières de Bruxelles, jusqu’au «sofagate», épisode burlesque d’un fauteuil pour deux à Ankara.
Mais aussi, le profil personnel de l’ancien maire de Lisbonne, première personnalité de l’UE dont les origines ne sont pas européennes, doit nous interpeller. Qu’il soit portugais est déjà, en soi, une bonne nouvelle si l’on considère qu’il est impératif de rééquilibrer le regard et l’action de l’Europe – guidés par une commission européenne dont la boussole indique d’abord l’Est. «Nous avons 27 histoires et cultures différentes, et nous regardons le monde depuis différentes positions géographiques. Cette diversité est parfaitement naturelle, et, appuie Costa, elle nous enrichit. Et nous pouvons, de fait, en tirer parti. Elle est la force de l’Europe.» Et surtout, digne héritier de l’empire du Portugal, Costa peut se vanter d’avoir un grand-père paternel originaire de Goa, et une grand-mère franco-mozambicaine. Il a déjà déclaré qu’il souhaitait s’appuyer sur cet héritage pour redéfinir des relations qu’il juge insuffisantes et inégales de l’Europe vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud. «Je pense qu’il y a des signes clairs que l’Europe souhaite avoir une vision du monde à 360 degrés, et non unidirectionnelle», soutient le lisboète. «Nous vivons dans un monde multipolaire, avec 192 pays. Nous devons abandonner les concepts de «Sud global» ou «Nord global». L’action extérieure de l’UE doit reconnaître que le Sud comme le Nord sont, en réalité, pluriels.»
Ce «quinquennat Costa» au sommet de l’UE prend enfin un sens particulier pour le Maroc, la période qui nous conduit vers 2030 étant également celle d’une organisation tripartite de la Coupe du monde de football, avec le Portugal et l’Espagne. Plus encore qu’avec le voisin espagnol déjà si proche en tous domaines, la synergie et les stratégies communes induites pour cet évènement planétaire vont doper le partenariat maroco-portugais et favoriser les échanges économiques et culturels, déjà croissants ces dernières années, entre les deux pays. La géopolitique du football que vont également se disputer les trois capitales est aussi celle de grands pays maritimes. Le «petit» Portugal sait ce que la conquête des mers induit en fait de puissance et de prospérité… Antonio Costa, fils d’un peuple de marins, bercé par les vers de Pessoa , à «l’âme emplie de mer», n’est-il pas le dirigeant européen le plus à même de comprendre et soutenir l’Initiative Atlantique royale menée depuis Rabat, pour renforcer l’accès de nations africaines à l’Océan, désenclaver celles-ci et accélérer, en structurant une Afrique atlantique, le développement économique et social du continent?
«Partir en mer se prépare sur terre», dit le proverbe portugais. C’est aussi depuis Bruxelles que le Maroc et son allié lusitanien vont désormais pouvoir penser leur coopération atlantique.