Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, aborde ce second tour inédit de l’élection présidentielle en position de favori, face au social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.
Malgré tout, Ersin Avci, une vendeuse de 32 ans venue voter parmi les premières à Istanbul, espère «un miracle toujours possible»: «On était vraiment déçu que Kiliçdaroglu n’ait pas gagné dès le premier tour, et surpris. Mais on garde espoir.»
Les bureaux de vote ont ouvert à 08H00 locales (05H00 GMT) avec des files d’attente déjà formées devant leurs portes, ont constaté les journalistes de l’AFP qui ont également noté dans les bureaux où ils se trouvaient une présence importante de scrutateurs, supérieure à celle du premier tour.
Dans le quartier résidentiel de Sisli à Istanbul, Özer Atayolu, ingénieur à la retraite de 93 ans, est arrivé parmi les premiers: «J’arrive toujours en avance pour voter en premier parce que je crois en la démocratie et en ma responsabilité de citoyen», confie-t-il en glissant les yeux plissés de malice qu’il se sent «comme un enfant en fête».
A Ankara, la capitale, Zerrin Alan, 55 ans, assure qu’elle était «tellement excitée (qu’elle) n’a pu dormir». «J’espère que cette élection ne sera pas truquée», ajoute-t-elle.
Deux visions du pays, de la société et de la gouvernance s’offrent aux 60 millions d’électeurs de Turquie (la diaspora a déjà voté) appelés aux urnes.
La stabilité au risque de l’autocratie avec l’hyper-président sortant, islamo-conservateur de 69 ans; ou le retour à une démocratie apaisée, selon ses termes, avec son adversaire, un ancien fonctionnaire de 74 ans.
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Les 49,5% de voix que M. Erdogan, ancien maire d’Istanbul et musulman dévot, a recueillies au premier tour le 14 mai ont témoigné du large soutien que lui accorde, malgré l’inflation, une majorité conservatrice.
Y compris dans les zones dévastées par le séisme du 6 février qui a fait au moins 50.000 morts et trois millions de déplacés.
Face à lui, Kemal Kiliçdaroglu, le «demokrat dede» - le papy démocrate - comme se présente cet économiste de formation aux cheveux blancs et fines lunettes, n’a pas su capitaliser sur la grave crise économique qui plombe les ménages turcs et la jeunesse.
Président du CHP - le parti de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la république, il a promis le «retour du printemps» et du régime parlementaire, de l’indépendance de la justice et de la presse.
«On en a marre de l’oppression du régime et de sa politique», clamait samedi à Ankara un enseignant de 39 ans, Ugur Barlas, qui votera pour l’opposant et «le changement».
Mais M. Kiliçdaroglu, avec 45% de suffrages au premier tour, fait figure d’outsider: malgré le soutien réitéré du HDP pro-kurde, il est crédité dans les sondages de cinq points de retard sur le chef de l’Etat qui bénéficie déjà d’une majorité au parlement issue des législatives du 14 mai.
Un million d’observateurs
Atone après le premier tour, comme sidéré de n’avoir pas remporté la victoire que son camp pensait acquise, Kemal Kiliçdaroglu a resurgi après quatre jours, plus offensif et moins souriant que l’humble «Monsieur tout le monde» de son début de campagne.
Faute d’accès aux grands médias et surtout aux chaînes de télévision officielles, dédiées à la campagne du président, il a bataillé sur Twitter quand ses partisans tentaient de remobiliser les électeurs par du porte-à-porte dans les grandes villes.
En jeu, les 8,3 millions d’inscrits qui ne se sont pas déplacés le 14 mai - malgré un taux de participation de 87%.
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Face à cet homme discret d’obédience alévie - une branche de l’islam jugée hérétique par les sunnites ultra, Recep Tayyip Erdogan a multiplié les meetings, s’appuyant sur les transformations qu’il a su apporter au pays depuis son accession au pouvoir comme Premier ministre en 2003, puis comme président depuis 2014.
M. Erdogan, qui a déjà relevé par trois fois en un an le salaire minimum, a multiplié ses largesses de campagne, comme ces bourses gratuites promises in extremis aux étudiants en deuil après le séisme.
Dimanche est «une journée spéciale pour nous tous», a-t-il lancé samedi: «Le temps des coups d’Etat et des juntes est révolu».
Pour l’un de ses derniers déplacements de campagne, il s’est rendu samedi sur la tombe de son modèle en politique, un ancien Premier ministre nationaliste-islamiste, Adnan Menderes, déposé puis pendu par les militaires en 1961.
La date de ce second tour intervient cependant dix ans jour pour jour après le début des grandes manifestations de «Gezi» qui, d’Istanbul, se sont répandues dans tout le pays. Première vague de contestation anti-Erdogan, elles avaient été sévèrement réprimées.
Pour Zerrin Altayli, retraitée de 60 ans, l’important dimanche est que le vote soit «honnête» et «sans fraude».
A cette fin, l’opposition a prévu de déployer «cinq observateurs par urne», soit un million de personnes au total pour surveiller le scrutin.
Le premier tour s’était déroulé de manière «compétitive» mais «limitée» du fait de «l’avantage injustifié» accordé par les médias officiels, avait estimé la mission conjointe de l’OSCE et du Conseil de l’Europe.
A moins d’une surprise, les résultats sont attendus dès dimanche dans la soirée, et seront scrutés par les alliés de la Turquie, en particulier au sein de l’Otan.