UE-Algérie: des actes, pas des mots!

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueDans une résolution adoptée à une écrasante majorité, le Parlement européen condamne la détention de Boualem Sansal et réclame sa libération immédiate et inconditionnelle. Mais encore?

Le 25/01/2025 à 10h00

En ce début d’année, les eurodéputés haussent le ton. Si l’on pouvait légitimement s’inquiéter, à l’automne, que le «cas Sansal» reste victime collatérale d’un face-à-face franco-algérien, tant la cohésion affichée par le Parlement lors du vote d’une résolution commune, sobrement intitulée «Le cas de Boualem Sansal en Algérie», que le texte adopté par les députés rassurent: ils signifient non seulement que les parlementaires ont européanisé le sort de l’écrivain, mais aussi que les élus sont aujourd’hui bien décidés à communautariser leur ras-le-bol face aux dérives du régime algérien, et partant, à la violation de ses engagements envers l’UE.

L’européanisation de la défense de Sansal, c’est d’abord une initiative de tous les groupes politiques, excepté The Left, chacun déposant son propre texte, pour ensuite cosigner, à cinq, puis voter à sept, une résolution commune. C’est aussi l’européanisation de ses porte-voix, avec une socialiste portugaise, un centriste autrichien, une écologiste néerlandaise, un chrétien-démocrate slovaque… C’est enfin un vote quasi unanime puisque, sur 605 votants, 533 ont soutenu le texte, 24 s’y sont opposés -dont 18 élus du groupe présidé par Manon Aubry.

Dans l’hémicycle de Strasbourg, il n’y eut que Rima Hassan pour s’opposer oralement à cette initiative parlementaire, pour dénoncer «une alliance de la droite et de l’extrême droite sur un sujet franco-algérien»! Arguments fallacieux puisque tous les amendements voulant ramener le vote à ces dimensions, et aux épisodes les plus récents de la brouille entre les deux pays (politique migratoire, taux de délivrance des laissez-passer consulaires ou refus d’accueillir les ressortissants expulsés) furent rejetés par le plus grand nombre; au point que fut même retoquée la proposition du député Brandstätter de «condamner les cas d’incitation à la violence, par des influenceurs algériens, contre des membres de la diaspora algérienne en Europe, ce qui met ces derniers en danger et sème la division au sein de la société́»… Étonnant d’ailleurs quand, la même semaine, toute l’Europe institutionnelle pointe la menace que font peser les réseaux sociaux sur la démocratie!

«Acta non verba: des actes, plutôt que des mots, pour faire libérer un écrivain et pouvoir ensuite partager, avec ou contre lui, la liberté du verbe.»

Glissant du «cas Sansal» au «cas Dzaïr», la résolution est en réalité un véritable réquisitoire contre le régime algérien, ciblant à la fois ses lois («(…) ont été adoptées, en 2024, de nouvelles modifications du Code pénal qui restreignent considérablement la liberté d’expression»), les atteintes à la liberté de la presse («(…) considérant que la liberté d’expression a régressé en Algérie, qui a reculé à la 139ème place du classement mondial de la liberté de la presse en 2024; que les journalistes sont soumis à une pression croissante et sont souvent détenus et poursuivis») et la violation répétée des droits de l’Homme («(…) au moins 215 personnes détenues en Algérie sont des prisonniers d’opinion, selon les défenseurs algériens des droits de l’homme; que la censure, les procès et les sanctions sévères à l’encontre de médias indépendants, souvent accusés de collusion avec des puissances étrangères contre la sécurité nationale, continuent de s’intensifier»). Une liste de griefs accablante et finalement incontestable, puisque même Manon Aubry et Rima Hassan se sont senties obligées de contribuer, par un amendement de leur groupe, qui «encourage vivement l’Algérie à modifier son Code pénal conformément à ses obligations internationales et aux conclusions de l’examen périodique universel des Nations unies».

Mais encore? On touche ici les limites, tant des pouvoirs du Parlement européen que du courage politique des décideurs européens… Rappelant le coût pour l’UE de l’accord d’association avec Alger -considérant qu’entre 2021 et 2024, l’Union européenne a versé 213 millions d’euros à l’Algérie dans le cadre du programme indicatif pluriannuel-, les eurodéputés esquissent la menace d’une conditionnalité des aides à venir à la libération de Boualem Sansal -sans l’assumer totalement: la proposition selon laquelle les futurs versements de fonds de l’UE devraient tous «être subordonnés aux progrès accomplis» a été écartée au profit d’une formule a minima: «devraient tous tenir compte des progrès accomplis en la matière».

Surtout, tout permet de douter de suites rapides données à cette résolution. Primo, l’inventaire des «clauses droits de l’Homme» dans les accords internationaux de l’UE et la jurisprudence européenne récente montrent qu’il est plus facile d’actionner la conditionnalité des financements européens contre un État membre, qui participe au budget européen (!), que contre un État tiers. Secundo, l’orateur de la Commission européenne, dans les débats préalables au vote de la résolution répétait, au mot près, la langue de bois de ses services, déjà égrenée soixante jours plus tôt (plénière du 27 novembre 2024). Tertio, une réunion de la délégation interparlementaire Maghreb, qui devait se tenir le 22 janvier, en présence de l’ambassadeur de l’UE à Alger, avec pour ordre du jour unique «la situation en Algérie et les relations UE-Algérie», a été annulée au dernier moment -avec comme message laconique aux membres: «Réunion reportée pour raisons indépendantes de notre volonté»…

Il reste du chemin, à défaut de temps, pour que les décideurs européens mettent tout en œuvre pour sauver Boualem Sansal. Acta non verba: des actes, plutôt que des mots, pour faire libérer un écrivain et pouvoir ensuite partager, avec ou contre lui, la liberté du verbe.

Par Florence Kuntz
Le 25/01/2025 à 10h00