L’orientation est clairement et officiellement affichée, l’Elysée l’a écrit noir sur blanc, relayé mardi 23 août 2022 par l’AFP. La visite de trois jours qu’entame jeudi Emmanuel Macron en Algérie sera «avant tout» tournée vers «la jeunesse et l’avenir». «Le président de la République a fait le choix d'orienter cette visite vers l'avenir, les start-up, l'innovation, la jeunesse, des secteurs nouveaux», a souligné hier, mardi 23 août 2022, la présidence française.
Dite en d’autres circonstances, ou s’agissant d’un autre pays, l’intention aurait été somme toute banale, mais s’agissant de l’Algérie, elle vaut le détour et à plus d’un titre. Emmanuel Macron parle «jeunesse» et «avenir», mais vis-à-vis de qui, si ce n’est d’un régime dont la marque distinctive est… l’âge très avancé. Si ce n’est pas une énième «maladresse» d’un chef d’Etat français résolument jeune, la phrase a tout d’une vanne censée refléter cet état de fait, ou encore une gifle en bonne et due forme adressée à une junte d’octogénaires qui ne cessent de tirer leur (très peu de) légitimité d’un passé lointain.
De quelle jeunesse parle donc le président français quand on sait qu’en face, il aura affaire à des personnalités algériennes datant de la première moitié du siècle dernier? Son vis-à-vis immédiat, soit le président algérien Abdelmadjid Tebboune, est né en novembre 1945. Il aura donc bientôt 77 ans. On repassera sur ses longs séjours en Allemagne entre octobre 2020 et février 2021 pour se faire soigner (officiellement du Covid-19, mais allons…).
Il en va de même pour Saïd Chengriha, reflet de la «force de frappe» du «pays continent», chef de l’armée algérienne, et accessoirement véritable tenant des rênes du pouvoir.
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Deuxième personnalité du pays selon la Constitution et éventuel successeur de Tebboune en cas d'incapacité ou de décès, le président du Conseil de la nation, Salah Goudjil, est, lui, né un 14 janvier… 1931, huit ans avant la Seconde Guerre mondiale. Il a 91 ans.
C’est donc, et pour ne citer que ceux-là, à des chibanis, pour ne pas dire des épaves du siècle dernier qui se cramponnent encore au pouvoir, que le deux fois plus jeune président Macron, 44 ans, va prêcher la bonne parole sur la jeunesse, l’avenir, les start-up et l'innovation? Des dinosaures qui n’hésitent d’ailleurs pas à ressusciter les (presque) morts en rendant un récent hommage à un Khaled Nezzar, âgé de 84 ans et un Mohamed Mediène, dit Toufiq, qui en comptabilise 83. Ces deux octogénaires sont encore puissants et très influents dans le Système.
Les rencontres prévues vendredi avec de jeunes entrepreneurs à Alger ou à Oran, «à l'occasion d'une démonstration de breakdance», n’y changeront rien et relèvent, si ce n’est du pur folklore de nouvelle génération, du ridicule pur et simple.
De quelle jeunesse parle donc Macron, si ce n’est certainement de la sienne, qu’il ne manquera d’ailleurs pas d’afficher fièrement devant les Algériens, comme une provocation aux vieillards séniles qui gouvernent leur pays? Le président français, qui en est à son deuxième déplacement en Algérie depuis son élection en 2017, parle de «poser un socle, refonder, développer» la relation entre Paris et Alger, dans un lexique qui renvoie d’abord aux pleines capacités physiques et intellectuelles. Mais avec qui? Des généraux et des «politiques» qui ont fait du Club des Pins, cette banlieue algéroise symbole du pouvoir, un immense Ehpad?
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A moins que ce ne soit un clin d'œil à l'adresse de la jeunesse algérienne, le plus gros, et de loin, des effectifs d’un pays en mal de leaders à son image. Plus de 70% des 45 millions d’Algériens sont âgés de moins de 40 ans et les plus de 60 ans ne représentent que 10% de la population. Jeune président souvent impertinent à l’égard du pouvoir algérien, Emmanuel Macron en est bien capable, les dettes du passé n’étant pas soldées.
On s’en souvient, le jeudi 30 septembre 2021 à Paris, le président français avait soulevé un véritable tollé auprès de la junte en recevant dix-huit jeunes (tiens!) issus de familles qui ont vécu dans leur chair la guerre d’Algérie. Des jeunes face auxquels il a expliqué que le «système politico-militaire» algérien nourrit une «histoire officielle» selon lui «totalement réécrit[e] qui ne s’appuie pas sur des vérités», mais sur «un discours qui, il faut bien le dire, repose sur une haine de la France». «La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle», a-t-il affirmé.
Il est allé jusqu’à analyser la construction de l’Algérie comme nation, «un phénomène à regarder». «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question. Il y avait de précédentes colonisations. Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle y a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial», a ironisé le président français. Un discours qui s’est soldé par un rappel pendant trois mois de l'ambassadeur d'Algérie à Paris et une fermeture de l’espace aérien algérien aux avions militaires français. Quant à Macron, il n’a jamais renié ses propos qui ont irrité la junte, apportant la preuve qu’il les assumera quoi qu’il qu’il en coûte. Et visiblement, ces propos ne lui ont rien coûté, les vieillards qui dirigent l’Algérie ayant choisi de jouer la carte de l’amnésie.
Avec ce nouveau discours sur la jeunesse et l’avenir, les dents factices des gérontocrates au pouvoir chez le voisin doivent à nouveau trembler, ou grincer, c’est selon. Mais une chose est sûre, Macron sait à chaque fois mettre le doigt, et bien appuyer, là où ça fait le plus mal. En s’adressant à la jeunesse algérienne, c’est cette même large catégorie d’Algériens, littéralement sacrifiée et complètement étouffée –même les stades de football sont encore interdits au public– par le pouvoir qu’il vise. Tout est de savoir comment vont réagir les pontes du régime, les vieux démons, au propre et au figuré, étant encore bien là.