Venue d’au-delà des Pyrénées, une attaque du Premier ministre français sur la concurrence menée par les agriculteurs espagnols. Riposte en deçà de syndicats ibériques ciblant les accords de libre-échange, et agitant implicitement par-delà les frontières la tomate marocaine…
À chaque crise, son bouc émissaire. Et celle que vit l’Europe à travers la contestation de ses paysans mobilise d’abord le monde agricole et les commentateurs contre le MERCOSUR, et les peurs légitimes qu’il suscite.
La vérité? C’est que si «l’enfer c’est les autres» (citation de Jean-Paul Sartre, NDLR), en l’espèce, cet autre est d’abord le voisin proche, l’État membre familier, fondateur de la CEE ou comme dernier entrant de l’Union européenne, qui, à rebours des slogans de Bruxelles où «l’union fait la force», joue des normes pour pratiquer une concurrence libre et loyale, puisque tous les pays ayant adhéré à l’ensemble communautaire ont approuvé les règles du marché unique, libre-échangiste et supranational.
Concurrence libre et loyale d’une Espagne qui inonde les étals des marchés français de ses cerises, le temps d’une courte saison où les maraîchers de Provence n’en produisent plus, privés par leur gouvernement d’un produit phytosanitaire efficace contre la mouche de la cerise, le diméthoate, pendant que l’Espagne continue de protéger ses vergers de Drosophila Suzukii par les homologations de cette molécule autorisée par Bruxelles.
Concurrence libre et loyale de l’Allemagne qui, pendant plus d’une décennie, a fixé le cours du porc, et torpillé la filière porcine outre-Rhin grâce à l’emploi quasi exclusif et continu dans ses abattoirs allemands de sous-traitants venus de l’Est, travailleurs polonais, bulgares, roumains…
Concurrence libre et loyale des Pays-Bas sur un marché horticole européen où ils sont devenus leader à coup de «Soft Flower» construit dans des jardins sous serres high-tech, et à la «pépinière» du port de Rotterdam, plaque tournante de l’import/réexport de végétaux destinés à verdir l’Europe.
Concurrence libre et loyale de Varsovie, devenue premier producteur de volailles de l’UE, par un «miracle de l’agriculture polonaise», en réalité recette de coûts de production «optimisés» par des aliments et une main-d’œuvre très bon marché, alliés à de généreux transferts de fonds structurels (200 milliards d’euros depuis 2004).
La vérité? C’est aussi le fait que tous les chefs d’État et de gouvernement européens ont donné mandat à la Commission de négocier, au fil des ans, plus de 40 accords commerciaux avec le reste du monde! Et que les grands partis européens ont approuvé ensemble, au Parlement de Strasbourg, cette inflation incontrôlée, en volumes et en qualité, des échanges. Faut-il remettre en mémoire que la suspension, par la Commission européenne, des négociations d’un traité monstrueux avec les États-Unis (TAFTA) n’est due qu’à l’élection de Donald Trump?
Et si, en 2024, la perspective d’un accord avec le MERCOSUR peut effrayer par son gigantisme (le «Mercado Comun del Sur» représentant plus de 80% du PIB total de l’Amérique du Sud, 780 millions de personnes et des volumes d’échanges de près de 45 milliards d’euros) tant les agriculteurs européens que, surtout, les votants des élections européennes de juin prochain, force est de rappeler que ce projet MERCOSUR a reçu le feu vert de l’ensemble des dirigeants européens, y compris français et espagnols… la présidence européenne de Madrid au second semestre 2023 ayant même permis d’accélérer les négociations!
Une leçon de la crise agricole européenne: l’hypocrisie des dirigeants de l’UE n’a pas de frontières!