Le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, vient de démontrer une nouvelle fois le samedi 16 avril dernier à Bordj Badji Mokhtar, dans l’extrême sud de l’Algérie à la frontière avec le Mali, que les institutions constitutionnelles et politiques du pays ne sont qu’une façade du pouvoir militaire. Chengriha a donné la preuve –une de plus– du mépris des institutions algériennes en s’arrogeant le droit de parler de la politique devant ses troupes, appelant les citoyens algériens, à partir d’une caserne militaire, à avoir «confiance en les institutions de l'Etat, à leur tête l'ANP… pour l'édification de l'Algérie nouvelle».
Exit, ainsi, le président de la république, le gouvernement, les parlementaires, les partis politiques, la société civile…
Chengriha a ainsi affirmé que les «tentatives délibérées des mercenaires de semer la discorde et la division entre les enfants du même peuple et entre le peuple et son armée sont des illusions et chimères qui ne se réaliseront jamais sur la terre des Chouhada». Ce discours, saupoudré de l’inévitable rente mémorielle, où lesdits «mercenaires» et la partie dont ils seraient à la solde ne sont pas identifiés, est symptomatique du délire et de la paranoïa dont fait montre la junte algérienne. Il a aussi le mérite de clairement démontrer que l’Algérie est le seul pays au monde où le chef d’état-major de l’armée s’est donné comme mission principale, non pas de se consacrer à la défense des frontières du pays, mais de traquer une poignée de citoyens, actifs sur les réseaux sociaux, qui dénoncent l’incompétence, la corruption et la mainmise de l’armée sur l’Etat.
Dans nul autre pays au monde, à part l’Algérie, on ne peut entendre parler d’une armée qui combat ses propres concitoyens, catalogués pour la circonstance comme «terroristes» ou comme «mercenaires» du seul fait qu’ils ont choisi d’exprimer leur opposition au régime militaire sur la Toile?
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C’est bien cette hystérie qui est à l'origine de la mobilisation sans précédent de la junte algérienne ces derniers temps, en vue d’obtenir l’extradition ou l’expulsion de tous ses opposants à l’étranger. Une mobilisation qui se matérialise, pour le moment, par l'expulsion d’Espagne de deux jeunes influenceurs novices, à savoir un ex-gendarme, Mohamed Abdallah, extradé en août 2021, et un ex-caporal de l’armée, Mohamed Benhalima, extradé le 25 mars dernier.
Ces deux jeunes internautes ont été exhibés à leur retour forcé en Algérie comme des trophées de guerre, des bêtes de foires, et outrageusement présentés en boucle par la télévision et autres médias proches du régime, en vue de terroriser l’opinion publique locale et d'espérer ainsi faire taire les voix encore actives à l’étranger.
Selon nos sources, le régime algérien fatigue ses interlocuteurs occidentaux en réclamant sans cesse l’expulsion d’honnêtes Algériens, dont la seule tare est de dénoncer l’appareil militaro-politique qui dilapide les richesses fossiles du pays et ne laisse aucune perspective d’avenir à la jeunesse. «En réitérant ses requêtes d’extradition de citoyens algériens qui n’ont commis aucun délit répréhensible par la loi, le régime algérien embarrasse ses interlocuteurs occidentaux, particulièrement français, qui ne savent pas comment lui faire comprendre qu’il s’agit d’une demande impossible à satisfaire», confie à Le360 un diplomate européen.
Lors de sa visite éclair à Alger, le 13 avril dernier, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a été reçu par le président Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier a encore une fois, selon nos sources, cité le nom de celui qui est présenté comme un «terroriste» (et qui est, de fait, le seul opposant politique), soit Ferhat Mehenni, le président du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK). Le président algérien ne s'est pas contenté de citer ce seul nom, mais il a aussi évoqué ceux des journalistes Hichem Aboud, Amir Boukhors (dit Amir DZ), Abdou Semmar et Anouar Malek, tous très actifs sur les réseaux sociaux, et comptant plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Une fin de non-recevoir opposée par le ministre français des Affaires étrangères aurait fortement contrarié le régime algérien.
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Mais voilà: les youtubeurs qui empêchent la junte militaire de dormir ne se trouvent pas seulement en France. Parmi les «mercenaires… qui ont trahi leur nation et vendu leurs âmes et leur honneur», selon les termes employés par Saïd Chengriha, figure en bonne position «Rachad», une organisation pacifiste d’obédience islamiste, qui a été tantôt accusée d’être manipulée par la France et l’Otan pour s’attaquer aux intérêts de l’Algérie, tantôt de servir un agenda turco-qatari, puis un autre, maroco-israélien, celui-là... Taxée de «terroriste» par le Haut conseil de sécurité algérien au même titre que le MAK, elle a fait l’objet d’une «liste nationale» des «terroristes» recherchés sur le plan international, et dont les noms des présumés membres ont été publiés dans le Journal officiel n° 11 du jeudi 17 février 2022, avant d’être retirée le lendemain, puis republiée quelques jours plus tard. Parmi les fondateurs de Rachad, il y a lieu de citer l’ancien diplomate algérien Larbi Zitout, aujourd'hui réfugié au Royaume-Uni, et qui est sans doute aujourd'hui la bête noire la plus aboutie du régime algérien.
Dans le dernier numéro du mensuel El Djeich (avril 2022), l’éditorial du pisse-copie des généraux algériens a cru pouvoir établir un lien entre les influenceurs algériens sur les réseaux sociaux et les prétendus terroristes récemment exhibés en Algérie. Ils seraient ainsi les «deux faces d’une même pièce». Le dernier discours de Chengriha est au demeurant parfaitement en phase avec l’éditorial du porte-voix de l’armée algérienne.
Pour la petite histoire, Saïd Chengriha a choisi de discourir ce week-end à partir de la région de Bordj Badji Mokhtar, où ont été tués le 20 mars dernier trois militaires algériens, parmi lesquels un officier, suite à une présumée attaque terroriste, dont les auteurs n’ont jamais été identifiés. Une façon, sans doute retorse dans l’esprit du chef d’état-major de l’armée algérienne, d’imposer une association entre de vrais terroristes et des influenceurs, pacifiques, sur les réseaux sociaux.
De fait, une armée qui a peur de cinq personnes, qui ne sont actives que sur les réseaux sociaux, proclame surtout sa fragilité et son impréparation à assurer ses véritables missions le jour où elle sera amenée à agir comme une armée.