Cela se passe à nos portes, plus précisément à Béchar, à seulement quelques kilomètres de la frontière nord-ouest marocaine, loin, très loin de toute zone de tension.
Alors que le peuple algérien poursuit son soulèvement contre le régime Bouteflika, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée algérienne et son plus haut gradé, regarde ailleurs, vers chez nous… Pour dire à ses troupes de se tenir prêtes au combat.
C’est littéralement ce qu’il a déclaré hier, mercredi 20 mars, lors d’une visite de terrain et d’inspection dans cette région militaire. «Une bonne préparation, c’est un bon entraînement et une bonne formation… De tous les cadres et de tous les éléments», a-t-il souligné dans un discours d’orientation. Ahmed Gaïd Salah a également précisé que cette capacité de combat passe par des équipements de pointe, et des infrastructures de qualité, «d’ores et déjà mis en place». Il est vrai que l’Algérie est le cinquième plus grand importateur d’armement dans le monde et, du reste, le premier en la matière en Afrique, selon le dernier classement établi, à Stockholm, par l’Institut international de recherche sur la paix (Sipri).
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Mais ce que Ahmed Gaïd Salah ne précise pas, c’est contre qui il a solennellement sommé son armée à se tenir prête au combat. Quand on se trouve à un jet de pierre du Maroc, l’ennemi parait tout désigné. Serait-ce, là encore, une nouvelle fuite en avant? Au lieu de trancher en faveur ou à l’encontre du maintien du régime, Gaïd Salah a-t-il opté, une fois encore, pour cet épouvantail déjà maintes fois agité qu’est «l’ennemi extérieur»? Certains supports, comme Algérie Patriotique, proche de l’armée, nous ont d’ailleurs gratifié de théories de complot aux scénarii absolument époustouflants, des fantasmagories dans lesquelles le Maroc serait, ainsi donc, une base d’opérations où CIA, renseignements français, agents serbes, entre autres, travaillent d’arrache-pied et déploient une logistique folle et des moyens extraordinaires dans le but ultime de détruire l’Algérie.
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Dans cette annonce sibylline adressée par Gaïd Salah à ses troupes, une autre option prête-t-elle à penser qu’il s’agit là, peut-être, d’un message adressé au peuple algérien, lequel ne désarme pas, et proteste sans coup férir face un régime gérontocrate, dont les caciques ne semblent pas près de lâcher les affaires? Si Ahmed Gaïd Salah a désormais adopté un ton bien plus modéré, et se dit à l’écoute des manifestants, n’oublions pas qu’il avait d’abord commencé par les menacer, et plutôt deux fois qu’une, au nom de la «stabilité du pays» et de la lutte, là encore, contre des «complots» qui se trament depuis l’extérieur.
Dans l’un comme l’autre cas, ce coup de bluff, le dernier en date, est un peu gros, car le but en est évident. Gaïd Salah tente manifestement de faire diversion, et donc de détourner l’attention sur l’irréversible déclin, actuellement en cours, du système Bouteflika. En ordonnant à son armée de se mettre au garde-à-vous, il ressort ainsi, du reste, des stéréotypes d’un autre âge, ceux des temps immémoriaux de la guerre froide.
Faut-il donc prendre la déclaration de Ahmed Gaïd Salah au sérieux? Le tout est de savoir jusqu’où le régime Bouteflika est prêt à aller pour rester accroché, mordicus, au pouvoir. Quand on sait que pour barrer la route aux islamistes, il aura fallu 10 longues années noires à l’Algérie, et un lourd bilan de près de 200.000 morts, le scénario du pire n’est pas vraiment loin. Les balles de l’armée seront-elles cette fois-ci dirigées contre cette même population, ou contre l’épouvantail –pourtant largement éventé– de l’ennemi marocain? La question mérite d’être posée.