Le Chef du gouvernement a annoncé les axes de sa politique en 2024. Mais ce n’était là qu’une sorte de resucée de ce qu’il avait déjà précisé au début de ce même mois, à propos des priorités du projet de loi de finances de l’année prochaine. Il faut les rappeler: consolidation des piliers de l’État social, mise en œuvre des réformes structurelles, mobilisation des finances publiques, renforcement de la souveraineté hydrique et alimentaire, promotion des investissements et de l’emploi, «offre Maroc» dans le domaine de l’hydrogène vert. Il faut y ajouter des mesures sociales: programme des allocations sociales à la fin de l’année (allocations familiales et ciblage des aides sur la base du registre social unifié).
De la continuité donc, avec une inflexion sociale. Il aura fallu bien du temps pour en arriver là. Ce cabinet a été en effet investi, voici près de deux ans, en octobre 2021, avec une mandature de cinq ans, correspondant à la présente législature de la Chambre des représentants (2021-2026). Deux ans se sont pratiquement écoulés. Ne lui reste de fait que deux autres années «utiles», dira-t-on. Il ne faudra pas attendre grand-chose en effet de 2026, par suite de l’agenda électoral contraignant avec un processus imprimant sa marque dès le premier trimestre de cette année-là.
Les «chantiers», les «réformes structurantes» et tant d’autres annonces: oui sans doute. Mais pour les citoyens de base, la majorité de la population, la difficulté est celle-ci: la contrainte au quotidien du pouvoir d’achat. Ainsi, le moral des ménages se dégrade, selon le HCP: il poursuit sa tendance baissière avec un taux de 45,4 points au deuxième trimestre 2023, contre 50,1 points à la même période en 2022 -c’est le chiffre le plus bas depuis le début de cette enquête en 2008. Préoccupant.
Dans cette même ligne, il vaut de noter la hausse de la circulation de la monnaie fiduciaire, le «cash», en 2022, selon le rapport annuel de Bank Al-Maghrib: 10% pour atteindre 372 milliards de DH (MMDH). Les dépôts bancaires en pâtissent, mais aussi les liquidités des institutions financières. Celles-ci accuseront ainsi, selon les prévisions de la Banque centrale, un déficit de l’ordre de 107 MMDH à la fin 2023 et même de 118 MMDH à la fin 2024.
Que faire pour y remédier? La lutte contre l’économie informelle relève toujours du discours sans de réelles mesures. Il en est même pour celle contre l’évasion fiscale, le gouvernement en parle sans «oser» s’y atteler de manière conséquente. Frilosité, réseaux d’intérêts, clientèles électorales: autant de facteurs cumulatifs, parmi d’autres, qui expliquent une telle situation. Or, l’État social, tellement mis en avant dans la rhétorique de ce gouvernement, ne commande-t-il pas que les exigences d’équité et de solidarité soient fortement sollicitées et mises en œuvre pour que ce système inégalitaire soit revu et corrigé? Chaque loi de finances (2022, 2023 et 2024) décide bien de certaines mesures (baisse de l′IS), mais sans veiller à appréhender le système fiscal actuel qui ne fait qu’accentuer les inégalités sociales, notamment entre les classes moyennes et les autres...
Autres grands dossiers où prévaut le discours: ceux de la réforme des régimes de retraite et de la caisse de compensation. Le wali de Bank Al-Maghrib ne cesse la mise en alerte: il y a urgence! Les régimes de retraite accusent un creusement de leur déficit (premier déficit global de la CNSS en 2027 et en 2028 pour la CMR). Qui s’en soucie? Le dossier de la Caisse de compensation n’est pas moins problématique: sera-t-il finalisé à la fin 2023, en vue de la suppression de cette institution? Tout dépendra de la mise sur pied de la caisse relative au ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social ainsi que de la création de l’Agence nationale des registres (ANR). La réponse sera donnée au plus tard le 20 octobre prochain, dans le texte du projet de loi de finances devant être déposé au Parlement.
Ce gouvernement a pourtant tous les atouts pour réussir: une majorité bien confortable de seulement trois partis (Rassemblement national des indépendants, Parti authenticité et modernité et Parti de l’Istiqlal), le soutien institutionnel -et non pas politique du Roi, lequel n’est pas comptable du bilan de ce cabinet- et le bénéfice d’une économie résiliente, avec la maîtrise des grands équilibres. Jouit-il d’une grande confiance aux yeux des citoyens? Sa communication reste sujette à caution, à coups d’annonces et de postures telles celles entourant des textes en instance (Code pénal et Code de procédure pénale, Code la famille, réforme fiscale, lutte contre la corruption, régionalisation, etc.).
Si certains secteurs sont pleinement engagés dans de profondes réformes (éducation, industrie, énergie, eau, etc.), d’autres ne sont pas dans ce même registre. Il manque au total une crédibilisation de la parole publique par le Chef du gouvernement et certains des membres de son cabinet. Porter les réformes et arriver à les incarner: tel est le challenge! Faute de quoi le risque est de voir la prévalence d’un «pouvoir parlé», se nourrissant de sa… propre rhétorique.